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Pourquoi croyons-nous, ou pas ? Les faits scientifiques
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Pourquoi certaines personnes croient-elles en Dieu, en des forces invisibles, en une volonté supérieure… et d’autres pas du tout ? Pourquoi, dans une même famille, l’un devient athée convaincu tandis que l’autre adopte une foi profonde ? Est-ce simplement une question d’éducation, de caractère, de choix personnel — ou y a-t-il quelque chose de plus profond en jeu ?
Depuis quelques décennies, une nouvelle piste se dessine avec force : et si la clé se trouvait dans notre cerveau lui-même ? Si nos croyances religieuses, ou notre scepticisme, étaient avant tout le fruit de nos mécanismes cognitifs, de notre évolution biologique, de notre architecture mentale ?
Les sciences cognitives, les neurosciences, la psychologie évolutionniste proposent aujourd’hui une révolution tranquille : elles ne demandent pas si Dieu existe, mais pourquoi nous sommes si nombreux à croire qu’il existe. Et pourquoi d’autres ne le croient pas, souvent malgré la pression culturelle, sociale ou émotionnelle.
Dans cette approche, croire n’est pas une preuve de supériorité morale, ni d’ignorance. C’est une réponse profondément humaine, appuyée sur des réflexes mentaux anciens : détecter des intentions, voir des causes derrière les effets, chercher du sens dans l’invisible.
De même, ne pas croire ne serait pas une simple rébellion ou un manque de foi, mais un mode cognitif particulier : une forme de pensée qui remet en question les intuitions naturelles, qui privilégie la vérification rationnelle, l’analyse, le doute.
Cet article explore ces idées à fond. Nous verrons :
comment notre cerveau est programmé pour croire — au sens cognitif du terme ;
pourquoi certaines intuitions mentales favorisent la religion (et parfois l’athéisme) ;
ce que les neurosciences révèlent des expériences mystiques et de la spiritualité ;
en quoi l’athéisme demande souvent un effort cognitif supplémentaire ;
et surtout : comment tout cela nous ramène à une même racine humaine, croyant ou pas.
Il ne s’agit pas de dire si Dieu existe ou non. Mais de comprendre pourquoi notre cerveau, parfois, l’invente — ou le rejette. Et ce que cela dit de nous.
I. Cerveau, cognition, croyance : les fondements naturels de la foi
L’idée selon laquelle la croyance religieuse serait un apprentissage culturel ou un simple héritage familial est largement répandue. Mais depuis les années 2000, un nouveau paradigme s’impose en sciences cognitives : la religion serait le produit naturel de notre fonctionnement mental, c’est-à-dire une conséquence involontaire de la façon dont nos cerveaux perçoivent, traitent et interprètent le monde.
Ce que les chercheurs mettent en évidence, ce n’est pas un « centre de la foi » dans le cerveau, mais un ensemble de systèmes cognitifs ordinaires qui, combinés, rendent la croyance intuitive, plausible, séduisante. Pour cette raison, on parle parfois de « prédisposition cognitive à la religion », ou de « religion naturelle ».
1.1. La cognition religieuse : une émergence naturelle
Pascal Boyer : la religion comme « parasite cognitif »
Dans Et l’homme créa les dieux, l’anthropologue et cognitiviste Pascal Boyer explique que les concepts religieux (dieux, esprits, ancêtres invisibles) ne sont pas insérés dans notre esprit comme des idées nouvelles : ils émergent spontanément à partir de capacités mentales déjà présentes pour d’autres usages.
Par exemple :
la mémoire épisodique (se souvenir d’une histoire),
la capacité d’inférer des intentions chez autrui,
la catégorisation des objets animés/inanimés.
Boyer parle de concepts « minimement contre-intuitifs » : ils violent légèrement nos intuitions (un homme invisible, un esprit qui sait tout), mais pas trop. Résultat : ils sont mémorables, faciles à transmettre, et crédibles au niveau intuitif.
« Les idées religieuses prospèrent non parce qu’elles sont exceptionnelles, mais parce qu’elles sont structurellement bien adaptées à nos cerveaux. »
1.2. Le HADD : un cerveau qui détecte des présences invisibles
Justin Barrett et le Hyperactive Agency Detection Device
L’un des mécanismes cognitifs les plus cités est le HADD (Hyperactive Agency Detection Device) décrit par le psychologue Justin Barrett.
Notre cerveau a évolué pour détecter très rapidement des agents dans notre environnement (êtres vivants, prédateurs, personnes). Et il préfère se tromper en voyant une intention là où il n’y en a pas (ex. : « ce bruit est peut-être un lion »), plutôt que de rater une vraie menace.
Ce biais hyperactif à détecter des intentions produit, dans certaines circonstances, des croyances en :
des esprits dans la forêt,
des ancêtres qui nous regardent,
un Dieu qui voit tout.
Ce sont des « fausses détections d’agents », mais notre cerveau les privilégie pour des raisons adaptatives.
Barrett écrit :
« Nous sommes nés croyants. Le cerveau humain est conçu pour voir des intentions et des esprits partout. »
1.3. Téléologie intuitive : tout a-t-il une intention ?
Les enfants, instinctivement finalistes
Des recherches en psychologie du développement (notamment celles de Deborah Kelemen, surnommée "la théologienne des enfants") montrent que les enfants ont une tendance naturelle à expliquer le monde par des intentions :
Les montagnes existent « pour que les animaux aient un endroit où grimper ».
Les rivières « sont là pour que les gens puissent se laver ».
Cette téléologie intuitive (tendance à penser que tout a un but) prédispose l’esprit humain à croire que quelqu’un a voulu le monde tel qu’il est. Ce type de pensée persiste chez de nombreux adultes.
Résultat : l’idée d’un Créateur est plus facile à intégrer que celle d’un univers sans intention.
1.4. La théorie de l’esprit : comprendre les intentions, même invisibles
L’une des grandes capacités cognitives humaines est la théorie de l’esprit : la faculté de se représenter ce que pense, veut ou ressent un autre être humain.
Les chercheurs en psychologie cognitive de la religion (notamment Jesse Bering) montrent que cette faculté peut être étendue à des entités invisibles :
Imaginer que Dieu voit ce qu’on fait,
Penser que les morts continuent de penser ou de juger,
Croire que des ancêtres peuvent être en colère ou fiers.
Ce sont des usages classiques de la théorie de l’esprit, appliquée à des agents surnaturels.
Cerveau atypique, croyance modifiée
Des études ont montré que chez les personnes présentant des troubles du spectre autistique (avec une théorie de l’esprit moins développée), la croyance en un Dieu personnel est statistiquement plus faible.
Cela suggère que la capacité à croire en un Dieu intentionnel repose, au moins en partie, sur la capacité à penser des esprits invisibles.
Conclusion intermédiaire : une machine à croire… ou à interpréter ?
Notre cerveau n’est pas une machine à produire la vérité, mais une machine à survivre et interpréter. En tant que tel, il cherche des intentions, du sens, des causes, y compris là où il n’y en a peut-être pas.
Les idées religieuses — dieux, esprits, âmes — s’insèrent naturellement dans ce système. Elles sont :
intuitives,
mémorables,
faciles à transmettre,
satisfaisantes émotionnellement.
Cela ne les rend ni fausses, ni vraies. Cela les rend naturelles pour l’esprit humain.
Et cela explique pourquoi la majorité des humains, dans toutes les cultures, croient ou ont cru en une forme de divin.
II. Styles cognitifs : penser intuitivement ou analytiquement
Nous avons vu que certains mécanismes cognitifs — la détection d’intention, la téléologie, la théorie de l’esprit — rendent la croyance religieuse intuitive pour la majorité des gens. Mais alors, pourquoi certaines personnes remettent-elles en question ces intuitions ? Pourquoi deviennent-elles athées, ou du moins sceptiques ? Une piste sérieuse a été explorée ces dernières années : cela tiendrait à notre style cognitif dominant.
Autrement dit, croire ou ne pas croire dépend moins de notre intelligence brute que de la manière dont nous utilisons notre cerveau : intuitivement ou analytiquement.
2.1. Intuition religieuse vs réflexion critique : une opposition cognitive
La croyance religieuse semble liée à l’intuition, tandis que le scepticisme et l’athéisme apparaissent davantage chez ceux qui s’engagent dans une réflexion analytique.
Étude fondatrice : Gervais & Norenzayan (Science, 2012)
Dans cette expérience :
Les chercheurs font lire à certains participants des mots ou des images qui activent la pensée analytique (comme l’image du Penseur de Rodin).
Résultat : ces participants déclarent moins de croyance religieuse juste après l’amorçage.
Cela montre que penser analytiquement inhibe temporairement les intuitions religieuses, même chez les croyants.
À l’inverse, dans des contextes émotionnels ou instinctifs, la pensée religieuse se réactive facilement.
2.2. Le cerveau analytique : une barrière contre l’intuition religieuse ?
Le système de pensée analytique (parfois appelé « Système 2 » dans le modèle de Daniel Kahneman) est :
plus lent,
plus exigeant,
plus conscient.
Il permet de remettre en question nos intuitions spontanées, de vérifier les apparences, de raisonner.
Or, beaucoup d’idées religieuses reposent sur des intuitions non démontrables (présence invisible, vie après la mort, volonté divine).
Les personnes qui ont un style cognitif plus analytique ont tendance à résister davantage à ces intuitions — ce qui peut favoriser l’athéisme ou l’agnosticisme.
Mais cela ne signifie pas qu’elles sont supérieures intellectuellement. La réflexion critique est une disposition cognitive, pas une garantie de vérité.
2.3. La double réalité : on peut être rationnel et croire (ou l’inverse)
Il existe des scientifiques croyants et des croyants très logiques.
Pourquoi ? Parce que notre esprit utilise souvent les deux systèmes (intuitif et analytique), mais pas toujours sur les mêmes objets.
Exemples :
Une personne peut être ingénieur en aérospatiale (très analytique au travail) et prier tous les soirs (intuitif dans la sphère personnelle).
Un athée peut croire sans preuve à l’homéopathie ou à certaines superstitions.
La croyance ou l’incroyance ne dépendent pas d’une « intelligence » unique, mais de l’articulation entre intuition et réflexion, selon le domaine.
2.4. Le rôle de la personnalité : un terrain fertile ou stérile ?
Des études en psychologie de la personnalité (modèle des Big Five) montrent certaines corrélations :
Les personnes très ouvertes à l’expérience (curieuses, sensibles à la complexité) sont plus souvent agnostiques ou spirituelles non conventionnelles.
Les personnes consciencieuses et respectueuses de l’autorité sont plus souvent religieuses conventionnelles.
Il ne s’agit pas de déterminer une personnalité "croyante" ou "athée", mais de noter que certains traits favorisent la remise en question, d’autres la stabilité de la foi.
Croire ou douter, selon comment on pense
Nous avons tous en nous :
des intuitions religieuses naturelles,
et la capacité à les questionner.
Certains s’en tiennent à leur intuition : « Je sens qu’il y a quelque chose de plus grand ».
D’autres la mettent en doute : « Ce que je sens n’est pas forcément vrai ».
La différence n’est pas morale. Elle est cognitive.
Et parfois, le style de pensée d’une personne varie selon les moments de sa vie : croyant intuitif en enfance, sceptique analytique à l’adolescence… ou l’inverse.
Ce va-et-vient entre croyance et doute fait partie de la plasticité de notre cerveau, et donc de notre liberté humaine.
III. Le cerveau spirituel : neurobiologie des états religieux
Et si Dieu laissait une trace… dans notre cerveau ?
Cette question, provocante, a donné naissance à une discipline émergente : la neurothéologie. Son but n’est pas de prouver l’existence de Dieu, mais d’explorer ce qui se passe dans le cerveau humain quand il vit une expérience religieuse, mystique ou spirituelle.
Les résultats sont fascinants : que ce soit dans la prière, la méditation ou les « états modifiés de conscience », on observe des activations cérébrales bien spécifiques, et parfois étonnamment constantes, quelle que soit la tradition religieuse.
Cela ne prouve pas que Dieu existe. Mais cela montre que l’expérience religieuse est réelle — biologiquement, neurologiquement, émotionnellement.
3.1. Le cerveau en prière ou en méditation : l’étude d’Andrew Newberg
Le neurologue américain Andrew Newberg est l’un des pionniers de cette approche. Il a réalisé des scans cérébraux (SPECT, IRM fonctionnelle) sur :
des moines bouddhistes en méditation,
des religieuses catholiques en prière contemplative,
des pentecôtistes en « glossolalie » (parole en langues).
Résultats convergents :
Activation du lobe frontal : zone liée à l’attention soutenue, à la concentration.
Diminution d’activité du lobe pariétal supérieur : zone impliquée dans l’orientation spatiale et la conscience du soi physique.
Interprétation : quand une personne entre en état de communion mystique, elle se sent hors du temps, sans corps, connectée à un tout, et son cerveau reflète cette expérience.
Newberg insiste : cela ne prouve pas l’intervention d’une réalité transcendante, mais objectivise l’expérience subjective. C’est bien réel — au niveau neurologique.
« Le cerveau est le réceptacle de l’expérience spirituelle, quelle que soit son origine. »
3.2. Expériences induites : le casque de Dieu et l’épilepsie du lobe temporal
Michael Persinger et la stimulation cérébrale
Dans les années 1990, le neuroscientifique Michael Persinger conçoit un dispositif surnommé le “casque de Dieu”. Ce casque envoie de faibles stimulations magnétiques sur les lobes temporaux des participants.
Résultat :
Environ 80 % des sujets rapportent la sensation d’une “présence invisible”, parfois perçue comme divine, protectrice ou écrasante.
Certains parlent de connexion cosmique, de flottement, voire de révélation intérieure.
Persinger en conclut que l’expérience du divin peut être induite artificiellement en agissant sur certaines zones cérébrales. Cela relie aussi les expériences religieuses aux cas d’épilepsie du lobe temporal, où des patients ressentent des extases mystiques, des visions, des certitudes spirituelles intenses.
« Dieu, c’est l’effet de votre lobe temporal gauche », dira-t-il provocativement.
Mais prudence...
Ces résultats sont controversés : d’autres chercheurs n’ont pas toujours pu les reproduire.
L’effet peut dépendre de la suggestibilité du sujet, du contexte, ou de biais de confirmation.
Les expériences spirituelles ne peuvent pas toutes être réduites à des anomalies cérébrales.
Néanmoins, ces travaux montrent que le sentiment du sacré peut émerger de notre architecture neurologique, volontairement ou spontanément.
3.3. Une neuroplasticité spirituelle ?
Les neurosciences modernes montrent que le cerveau se modifie en fonction de ce qu’on pratique régulièrement : c’est la neuroplasticité.
La prière répétée, la méditation, la récitation de mantras ont des effets observables sur :
les circuits de la régulation émotionnelle (amygdale, cortex préfrontal),
la tolérance à la douleur,
l’attention, la mémoire, le bien-être.
Et ces effets ne sont pas limités aux pratiques religieuses. Des formes laïques de méditation pleine conscience (comme le programme MBSR de Jon Kabat-Zinn) ont les mêmes effets sur le cerveau et la santé mentale.
L’expérience spirituelle semble donc universellement humaine, que l’on la relie à Dieu, au Bouddha, à l’univers, ou à rien du tout.
Une spiritualité incarnée dans la matière
Les neurosciences ne confirment ni n’infirment l’existence de Dieu. Mais elles montrent que :
l’expérience religieuse est réelle dans le cerveau,
elle est associée à des circuits spécifiques, mobilisés aussi dans d’autres émotions fortes (amour, gratitude, musique),
elle peut être cultivée volontairement, quel que soit le cadre spirituel ou non-spirituel.
Pour le croyant, cela peut être vu comme la preuve que le cerveau est fait pour dialoguer avec Dieu.
Pour le sceptique, cela montre que la religion est une construction mentale qui exploite nos fonctions naturelles.
Mais les deux peuvent reconnaître ceci : l’expérience du sacré a un fondement neuronal, corporel, émotionnel. Elle est profondément humaine.
IV. Pourquoi le cerveau produit de la religion (et parfois de l’athéisme) ?
Après avoir vu comment le cerveau permet l’expérience religieuse, une nouvelle question s’impose : pourquoi produit-il spontanément de la religion ? Est-ce un effet secondaire involontaire, un « bug » cognitif ? Ou, au contraire, une stratégie adaptative façonnée par l’évolution ?
Et pourquoi, à l’inverse, certaines personnes — malgré cette propension naturelle — deviennent-elles athées ou agnostiques ? Y a-t-il dans notre cerveau une capacité à désactiver la croyance, à résister à l’intuition spirituelle ?
4.1. Religion : sous-produit cognitif ou adaptation évolutive ?
Les chercheurs proposent deux grandes hypothèses, non exclusives.
Hypothèse 1 : la religion comme sous-produit
C’est la position de Pascal Boyer, Daniel Dennett ou encore Steven Pinker : la religion ne serait pas une adaptation en soi, mais un effet secondaire (ou "parasite") de fonctions cognitives utiles par ailleurs.
Exemple : nous avons besoin de détecter les intentions = utile pour la survie.
Mais ce biais génère aussi des croyances en des agents surnaturels : dieux, fantômes, etc.
La religion serait donc un exaptatif : quelque chose qui n’a pas évolué pour croire, mais qui résulte de fonctions utiles dans d’autres domaines.
Hypothèse 2 : la religion comme avantage évolutif
D’autres chercheurs comme Scott Atran, David Sloan Wilson, ou Jonathan Haidt défendent l’idée que la religion a survécu parce qu’elle favorise la survie du groupe.
Une religion favorise :
la coopération entre membres,
le contrôle des comportements (via le regard d’un Dieu omniscient),
la solidarité face à l’adversité,
la transmission de normes stables.
Dans cette perspective, les groupes religieux sont plus soudés, plus organisés, donc plus aptes à survivre que les groupes sans croyance partagée.
« La religion n’est pas vraie, mais elle est utile », résume parfois cette école.
4.2. Dieu comme super-surveillant : croyance et contrôle social
L’une des idées les plus puissantes de la religion en termes cognitifs est celle d’un Dieu qui voit tout, même ce que personne ne voit. C’est un concept idéal pour réguler les comportements humains, en particulier lorsque l’autorité est absente.
Étude expérimentale célèbre :
Des chercheurs placent une photo d’yeux au-dessus d’une boîte à café à contribution libre.
Résultat : les gens donnent deux à trois fois plus d’argent qu’en présence d’un dessin neutre.
Pourquoi ? Parce que le sentiment d’être observé (même symboliquement) renforce les comportements prosociaux.
La croyance en un Dieu Omniscient pourrait activer les mêmes circuits cérébraux : nous nous comportons mieux… car nous pensons être vus.
4.3. L’athéisme : un effort cognitif particulier ?
Si la croyance est intuitive, alors l’incroyance est-elle… contre-intuitive ?
Des chercheurs comme Will Gervais et Ara Norenzayan suggèrent que l’athéisme exige une suppression active des intuitions religieuses naturelles.
Cela suppose :
une pensée analytique soutenue (voir section II),
un contexte culturel favorable (où l’athéisme est socialement accepté),
une tolérance à l’incertitude (vivre sans réponses toutes faites),
une désactivation des systèmes cognitifs qui « suggèrent » la présence du divin.
Ce n’est pas que les athées sont plus intelligents, mais ils utilisent d’autres ressources mentales pour résister aux intuitions spontanées.
Le cerveau fabrique du sens, croyant ou pas
En résumé :
Notre cerveau produit de la religion parce qu’il détecte, relie, explique, même au-delà des faits.
Cela a pu être utile à l’espèce, en renforçant les groupes.
L’athéisme existe, mais il demande souvent un effort cognitif particulier, ou un contexte culturel permissif.
Qu’on y voie un biais ou un avantage, la religion émerge naturellement de nos facultés mentales. L’athéisme, lui, est une construction culturelle et cognitive plus récente, et souvent minoritaire — car il contredit ce que le cerveau propose spontanément.
Mais les deux — croyance et scepticisme — sont des productions humaines, et donc neurologiques.
V. De la croyance à la résilience : effets cognitifs positifs, mais non exclusifs
On entend souvent que « la foi aide à traverser les épreuves », ou que « les croyants guérissent mieux ». Il est vrai que de nombreuses études montrent des corrélations entre foi religieuse, bien-être psychologique et résilience. Mais il serait erroné d’en conclure que seule la religion permet cela.
Les sciences cognitives et comportementales montrent que les effets positifs de la croyance sont réels, mais qu’ils peuvent aussi être atteints par d’autres voies — laïques, philosophiques, relationnelles. C’est l’état cognitif et émotionnel généré (espoir, sens, soutien) qui fait la différence, pas nécessairement le contenu de la foi.
5.1. Les fonctions adaptatives de la foi
Moins de stress, plus de résilience
Des études en psychologie de la santé (Pargament, Koenig, Miller, etc.) montrent que les personnes croyantes :
résistent mieux au stress post-traumatique,
présentent moins de symptômes dépressifs après un deuil,
guérissent parfois plus vite de certaines maladies.
Pourquoi ?
Parce que la foi peut fournir :
un cadre de sens (« cette souffrance a une raison »),
un espoir transcendant (« ce n’est pas la fin »),
un réseau social solide (communauté religieuse),
un rituel stabilisateur (prières, coutumes, etc.).
Ces éléments activent des circuits cognitifs de régulation émotionnelle, diminuent le stress chronique, renforcent la motivation.
5.2. Une exclusivité religieuse ? Non : des effets atteignables autrement
Des recherches montrent que les mêmes effets peuvent être atteints :
par la philosophie de vie (stoïcisme, humanisme),
par la méditation laïque (pleine conscience, MBSR),
par l’engagement communautaire (bénévolat, entraide),
par l’art, la nature, la musique.
Le psychologue David B. Yaden, co-auteur de The Varieties of Spiritual Experience, parle de « spiritualité séculière » : des états mentaux profonds (admiration, paix intérieure, euphorie altruiste) sans croyance religieuse.
Le cerveau répond au sens, pas à son origine divine ou non.
5.3. L’effet placebo, l’intention, la cohérence cognitive
La foi religieuse peut aussi être vue comme un placebo comportemental puissant :
Le fait de croire modifie les attentes.
Les attentes modifient la perception, les hormones, les comportements.
Le cerveau s’auto-régule en fonction de la cohérence cognitive perçue.
Mais ce n’est pas réservé aux croyants :
Un patient athée qui fait confiance à son médecin, à la science, ou à sa propre volonté, peut mobiliser les mêmes circuits neuropsychologiques.
Ce qui compte, c’est la conviction sincère, pas son objet.
Comme le dit le psychiatre Boris Cyrulnik :
« Ce n’est pas la foi qui sauve, c’est l’histoire qu’on se raconte qui permet de survivre. »
5.4. Le soutien humain : le véritable catalyseur
Les recherches en médecine relationnelle montrent que la qualité de la relation d’aide — entre médecin et patient, entre thérapeute et souffrant — est l’un des facteurs les plus puissants pour :
la guérison,
la réduction du stress,
le maintien de l’espoir.
Ce soutien peut être religieux ou non. Ce qui agit, c’est la chaleur humaine, l’attention, l’accompagnement.
Ainsi, la religion est une voie parmi d'autres pour activer les leviers psychologiques universels :
Sens
Lien
Narration
Espoir
Présence
La croyance peut guérir, mais elle n’est pas magique. Ce qui soigne, ce sont :
les états mentaux qu’elle produit (espoir, sécurité, motivation),
les structures sociales qu’elle active (communauté, rituel, lien),
les mécanismes cognitifs qu’elle déclenche (placebo, cohérence, anticipation).
Or, tous ces mécanismes peuvent être mobilisés hors du religieux.
En d’autres termes : le cerveau n’a pas besoin de Dieu pour déclencher ses propres forces de guérison. Il a besoin de sens, de lien, d’intention — peu importe d’où ils viennent.
VI. L’illusion utile ? Croyance, auto-tromperie et cognition sociale
L’une des questions les plus délicates en sciences cognitives de la religion est celle-ci : et si croire en Dieu — ou en des forces invisibles — était une illusion… mais une illusion bénéfique ? Une illusion qui renforce le sens de la vie, la cohésion sociale, l’espoir dans l’adversité. Une sorte de « placebo cognitif collectif ».
Cette idée, loin d’être péjorative, est au cœur de certaines théories évolutionnistes et philosophiques : la religion ne serait pas une erreur, mais une construction mentale adaptative, soutenue par les mécanismes d’auto-tromperie, et parfois nécessaire à notre équilibre émotionnel et collectif.
6.1. La religion comme construction mentale adaptative
Daniel Dennett : la « croyance dans la croyance »
Le philosophe américain Daniel Dennett propose un renversement subtil : dans les sociétés religieuses, les gens ne croient pas forcément en Dieu, mais ils croient qu’il est bon de croire en Dieu.
Autrement dit, la croyance en la croyance devient elle-même une norme sociale. Cela suffit à maintenir le système : on croit, non pour des raisons métaphysiques, mais parce que cela :
structure la vie sociale,
apaise les angoisses existentielles,
donne un cadre à l’éducation et à la morale.
Cette croyance en la croyance peut survivre même si la croyance elle-même s’effrite.
6.2. L’auto-tromperie comme stratégie évolutive
Le biologiste Robert Trivers a proposé que l’auto-tromperie — croire en quelque chose qu’on ne peut pas démontrer — est utile pour mieux tromper les autres, ou pour renforcer sa cohérence personnelle.
Exemples dans la vie quotidienne :
Croire qu’on va guérir (même sans preuve) aide vraiment à guérir.
Croire que nos actions sont justes (même si elles ne le sont pas objectivement) nous rend plus convaincants.
Dans ce cadre, la croyance religieuse pourrait être une forme d’auto-tromperie socialement bénéfique : elle renforce la confiance, la stabilité, la conviction morale.
« Croire sans preuve n’est pas forcément irrationnel si cela rend la vie plus viable. »
6.3. Richard Dawkins : Dieu comme mème culturel
Le biologiste Richard Dawkins a proposé une autre explication culturelle : la religion est un mème, c’est-à-dire une idée contagieuse qui se propage comme un gène, non parce qu’elle est vraie, mais parce qu’elle est :
facile à mémoriser,
chargée d’émotions,
transmise de manière rituelle et répétitive,
sanctionnée socialement.
Dans cette logique, Dieu n’est pas un être réel, mais une idée hautement reproductible, une sorte de virus culturel particulièrement performant.
Comme les refrains de chansons qu’on ne peut pas s’empêcher de chanter, certains concepts religieux colonisent notre mémoire collective.
6.4. Illusion vs réalité : doit-on désillusionner le cerveau ?
Tout ceci pose une question éthique et existentielle : faut-il vraiment “guérir” les gens de leurs croyances religieuses si ces croyances :
les rendent plus heureux,
renforcent leur résilience,
soutiennent leur comportement prosocial ?
Un courant de pensée (parfois nommé illusionnisme bienveillant) considère que certaines illusions sont utiles et même nécessaires à la santé mentale ou à la paix sociale.
Mais à l’inverse, d’autres estiment qu’une vie lucide et fondée sur des vérités démontrables est préférable, même si elle est plus dure, plus incertaine, moins réconfortante.
Là encore, tout dépend du rapport que chacun entretient avec la vérité, la consolation, la liberté intérieure.
Croire, ou pas, c’est parfois s’illusionner
Si la croyance religieuse est une illusion, ce n’est pas forcément un défaut.
Si l’athéisme est une désillusion, ce n’est pas forcément un progrès.
Le cerveau humain cherche à survivre, à espérer, à donner du sens, même si cela implique de croire à ce qui n’est pas prouvé.
Ce que montrent les sciences cognitives, c’est que l’illusion et la rationalité ne s’opposent pas toujours : elles coexistent, s’alternent, s’équilibrent — comme deux faces d’un même besoin d’être humain.
Conclusion
Après avoir exploré les recherches en psychologie cognitive, neurosciences et biologie de l’évolution, une chose apparaît avec force : notre cerveau est biologiquement, cognitivement, émotionnellement structuré pour produire de la croyance religieuse.
Pas besoin d’un Dieu pour expliquer pourquoi les humains y croient.
Et pourtant, cette croyance n’est ni absurde, ni irrationnelle : elle est naturelle. Elle naît :
de notre tendance à détecter des intentions (HADD),
de notre besoin de trouver des buts (téléologie intuitive),
de notre capacité à attribuer des états mentaux (théorie de l’esprit),
de nos circuits neuronaux activés dans la prière, la méditation, la gratitude,
de notre propension à créer du sens — même là où il n’y en a pas objectivement.
Mais ce n’est pas toute l’histoire.
Une autre capacité, plus lente, plus exigeante, s’est aussi développée dans le cerveau humain : le raisonnement analytique, le doute, l’esprit critique.
C’est elle qui permet à certaines personnes de dire :
« Ce que je ressens n’est pas forcément réel. Ce que la tradition affirme n’est pas forcément vrai. »
Cette dualité — entre intuition et analyse, entre foi naturelle et remise en question — est au cœur de notre humanité.
Pas deux types de cerveaux, mais deux modes de fonctionnement
Ce que révèlent les sciences cognitives, ce n’est pas qu’il y aurait des cerveaux « croyants » et des cerveaux « athées », mais que le même cerveau peut fonctionner selon des styles différents, activés par :
l’environnement social,
les émotions dominantes,
les expériences personnelles,
l’éducation reçue,
les contextes culturels.
Nous avons en nous tous les outils pour croire ou ne pas croire, selon les moments, les situations, les besoins. Et parfois, nous passons de l’un à l’autre — dans une vie, voire en une journée.
Croyance, illusion, résilience : une même quête humaine
Pour le croyant, la religion est une réponse vraie à un monde mystérieux.
Pour l’athée, la religion est une réponse humaine à un monde indifférent.
Pour le scientifique, la religion est un phénomène cognitif universel, à expliquer comme tout autre fait mental.
Mais tous s’accordent sur un point : croire ou ne pas croire, c’est chercher à comprendre, à tenir debout, à vivre avec la finitude, à tisser du lien dans un monde chaotique.
Et c’est peut-être là le plus grand miracle neurologique :
notre cerveau, qu’il croit ou qu’il doute, cherche toujours à espérer, à relier, à survivre.
Un cerveau fait pour choisir ?
En définitive, le cerveau humain n’est pas une machine à croire, ni une machine à raisonner. C’est un espace de tensions, de récits, de doutes et de désirs. Il peut croire en Dieu ou en l’humanité, en un ordre cosmique ou en l’absence totale de sens.
Et il peut, surtout, choisir ce qu’il fait de ses intuitions naturelles.
Peut-être est-ce cela, la vraie liberté intérieure :
non pas de croire ou de ne pas croire,
mais de savoir pourquoi l’on croit, ou pourquoi l’on doute —
et de respecter que d’autres, avec le même cerveau, en arrivent à des réponses différentes.
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