Le Coran à travers l'Histoire

Le Coran est-il resté identique à celui révélé à Muhammad (ﷺ) au VIIᵉ siècle ? Cette question, centrale pour les musulmans et cruciale pour les chercheurs, appelle une réponse fondée sur l'histoire, les manuscrits anciens, et la transmission orale. Cet article explore de manière factuelle et rigoureuse la tradition sunnite à ce sujet, en intégrant aussi les apports de la recherche académique moderne.


I. Histoire de la transmission du Coran selon la tradition sunnite

A. Du vivant du Prophète Muhammad ()

Le Coran, selon la tradition musulmane, a été révélé au Prophète Muhammad (ﷺ) sur une période de 23 ans, entre 610 et 632 de l'ère commune. Cette révélation s’est faite par fragments, en réponse à des événements précis, à des interrogations ou à des besoins spirituels et juridiques de la première communauté musulmane.

La transmission initiale est orale : le dernier prophète de l'islam (ﷺ) récite les versets à ses compagnons, qui les apprennent par cœur. La mémorisation (ḥifẓ) devient très tôt une pratique centrale. En parallèle, les révélations sont mises par écrit, sur divers supports disponibles à l'époque : omoplates d'animaux, feuilles de palmier, pierres plates, morceaux de cuir, etc.

Plusieurs scribes officiels sont identifiés dans les sources, notamment Zayd ibn Thābit, Mu‘āwiya ibn Abī Sufyān ou encore Ubayy ibn Ka‘b. Chaque révélation était ordonnée et placée dans une sourate spécifique par indication directe du dernier prophète de l'islam, ce qui montre une volonté de structuration progressive du texte.

Toutefois, aucune compilation intégrale unique et ordonnée du Coran n'existait au moment de la mort de Muhammad (ﷺ). Le texte était dispersé entre la mémoire des récitateurs et des fragments écrits, sans que tous les versets soient réunis dans un seul volume.

B. La première compilation sous Abû Bakr

Après la mort du dernier prophète de l'islam (ﷺ), la communauté musulmane fait face à de multiples soulèvements. L'une des batailles les plus sanglantes, celle de Yamāma (633), contre les tribus apostates, coûte la vie à de nombreux compagnons qui connaissaient le Coran par cœur.

Le calife Abû Bakr est alors convaincu par ‘Umar ibn al-Khaṭṭāb de la nécessité de rassembler le Coran dans un recueil unique, afin d’éviter toute perte définitive du texte. Il confie cette mission à Zayd ibn Thābit, déjà scribe à l'époque du prophète (ﷺ), qui relate lui-même avoir ressenti la tâche comme plus lourde que de déplacer une montagne.

Zayd suit une méthodologie stricte :

  • Il ne copie aucun verset sans la double confirmation d’un témoin oral et d’un support écrit.

  • Il vérifie chaque passage avec les compagnons réputés pour leur ḥifẓ.

  • Il compile les versets selon les indications données par le Prophète Muhammad (ﷺ) de son vivant.

Cette compilation aboutit à un codex (muṣḥaf), complet, que Abû Bakr conserve jusqu'à sa mort, puis transmis à ‘Umar, et enfin confié à sa fille Ḥafṣa, l’une des veuves du Prophète. Ce muṣḥaf de Ḥafṣa devient la référence écrite de la communauté, même si la récitation orale reste dominante.

C. La recension sous `Uthmân : standardisation

Sous le califat de Uthmân ibn Affān (644–656), l’islam s’est considérablement étendu au-delà de la péninsule arabique. Avec cette expansion, des divergences de récitation apparaissent parmi les musulmans des différentes régions (Syrie, Irak, Égypte…), chaque groupe suivant la lecture enseignée par un compagnon local (comme Ibn Mas‘ūd à Koufa ou Ubayy à Damas).

Le général Hudhayfa ibn al-Yamān, après une campagne en Azerbaïdjan, rapporte au calife que les soldats s’accusent mutuellement d’erreur dans la récitation du Coran. Craignant une division dans la religion, `Uthmān décide d’intervenir.

Il fait appel à Zayd ibn Thābit, et nomme une commission composée de scribes de Quraysh, pour produire une version officielle du Coran, à partir du muṣḥaf de Ḥafṣa. Cette commission :

  • Suit les conventions du dialecte de Quraysh (langue du Prophète Muhammad (ﷺ)).

  • Uniformise l’ordre des sourates et des versets.

  • Établit un rasm consonantique sans points ni voyelles, permettant différentes lectures tout en fixant le texte de base.

Une fois cette recension achevée, plusieurs copies officielles sont produites et envoyées dans les grandes villes de l’empire (Médine, Damas, Koufa, Bassora, La Mecque). `Uthmān ordonne de brûler toutes les autres versions privées ou régionales pour éviter toute confusion future.

Ce processus aboutit à :

  • La fixation du rasm ‘uthmānien, encore utilisé aujourd’hui.

  • L’unification de la lecture du Coran autour d’un texte unique, tout en laissant la place à différentes vocalisations canoniques (qirâ’ât).

Dès lors, le Coran est transmis oralement et par copie à partir de cette version officielle. Aucun calife, école ou région ne contestera durablement ce texte, qui devient la référence absolue pour les siècles à venir.

II. Les manuscrits anciens du Coran

L’étude des manuscrits anciens du Coran est un domaine central de la recherche contemporaine. Ces témoins matériels, parfois très fragmentaires, permettent de vérifier comment le texte s’est transmis, recopié et éventuellement standardisé. Leurs découvertes ont souvent conforté – mais parfois aussi nuancé – la version classique de la transmission. Voici les plus importants.

II.A. Le Codex Parisino-Petropolitanus

Le Codex Parisino-Petropolitanus est l’un des plus anciens manuscrits connus du Coran. Il est daté, par analyse paléographique, de la seconde moitié du VIIᵉ siècle, soit environ 30 à 50 ans après la mort du Prophète Muhammad (ﷺ).

Ce manuscrit est aujourd’hui divisé entre :

  • La Bibliothèque nationale de France (70 feuillets),

  • La Bibliothèque nationale de Russie (52 feuillets),

  • Quelques feuillets à la British Library et ailleurs.

Au total, environ 118 feuillets subsistent d’un ensemble initial qui devait en compter plus de 200. Il contient environ 45 % du Coran, depuis la sourate 2 (v. 275) jusqu’au début de la sourate 72, avec des lacunes entre ces deux sourates.

Caractéristiques matérielles

  • Écriture : Hijâzî, penchée à droite, typique des débuts de l’écriture coranique.

  • Absence de voyelles et de diacritiques dans la version initiale.

  • Copié par au moins cinq scribes différents, ce qui montre une production collective.

  • Aucun ornement décoratif important : manuscrit probablement destiné à l’usage liturgique, pas au luxe.

Analyse textuelle

Le texte du Codex Parisino-Petropolitanus est très proche du texte coranique standard, et comporte plusieurs types de variantes :

  • Variantes orthographiques : choix de lettres ou omissions fréquentes à cette époque.

  • Variantes lexicales : parfois un mot est remplacé par un synonyme (ex. : « fa-infirû » au lieu de « fantashirû »).

  • Petites omissions ou ajouts de mots ou expressions.

Ces variantes ne remettent pas en cause le sens doctrinal ou théologique des versets, mais montrent une phase de stabilisation encore en cours.

Perspectives d’historiens et codicologues

1. François Déroche (Collège de France)

  • Il est le principal éditeur critique du codex (2014).

  • Il considère que ce manuscrit témoigne d’un texte non encore totalement figé, mais très avancé dans le processus de standardisation.

  • Il affirme que :

    « Ce manuscrit est, de loin, le plus ancien témoin conservé d’un texte du Coran couvrant une portion aussi vaste. »

  • Il souligne que trois variantes notables subsistent par rapport au rasm standard : cela montre une fidélité générale, avec des traces résiduelles de variantes non encore tranchées.

2. Michael Cook et Harald Motzki

  • Tous deux ont mentionné ce manuscrit comme preuve importante d’une transmission très rapide du texte après la mort de Muhammad (ﷺ)

  • Cook, dans ses travaux ultérieurs, estime que les variantes qu’on y observe correspondent à des formes admises dans les traditions de qirâ’ât (lectures autorisées).

3. Nicolai Sinai (Oxford)

  • Il considère le Parisino-Petropolitanus comme un témoin crucial : le manuscrit montre que le contenu du Coran était globalement fixé au plus tard dans les années 660–670.

  • Il note que les quelques variantes observées sont analogues à celles connues dans les recueils de variantes de récitation.

4. Gabriel Said Reynolds

  • Il considère que ce manuscrit « conforte les récits traditionnels » sur la collecte du texte, tout en suggérant que le processus de canonisation a pu inclure des choix entre formulations équivalentes.

  • Pour lui, ce manuscrit montre que le texte était déjà sacralisé, mais pas encore intouchable dans sa forme exacte.

Conclusions à tirer

Le Codex Parisino-Petropolitanus :

  • Confirme l’existence d’un texte coranique très stable très tôt,

  • Montre que la canonisation était en cours mais non encore parfaitement achevée au moment de sa copie,

  • Reflète un moment charnière où les variantes admises étaient encore visibles dans les manuscrits,

  • Appuie la thèse d’un texte déjà très unifié, mais pas encore verrouillé sur chaque mot et forme grammaticale.

Il est considéré par les historiens comme l’un des témoins les plus précieux du Coran ancien, en ce qu’il permet d’observer à la fois la stabilité du texte et les traces résiduelles du processus de standardisation qui culminera sous `Uthmân.

II.B. Les feuillets de Birmingham

En 2015, deux feuillets de manuscrit conservés depuis les années 1920 à l’université de Birmingham ont fait l’objet d’une datation au carbone 14 qui les a rendus célèbres dans le monde entier. Ces fragments, jusque-là peu étudiés, ont été identifiés comme parmi les plus anciens témoins matériels du Coran.

  • Contenu : parties des sourates 18 (al-Kahf), 19 (Maryam) et 20 (Ṭâ-Hâ).

  • Support : parchemin en peau d’animal, de très bonne qualité.

  • Écriture : hijâzī, calligraphie inclinée typique du VIIᵉ siècle.

  • Datation carbone 14 : 95 % de probabilité pour une période entre 568 et 645 , ce qui signifie potentiellement contemporain du Prophète Muhammad ()

Lien avec d’autres manuscrits

Des analyses paléographiques ont établi que ces feuillets font partie du même manuscrit que le Codex Parisino-Petropolitanus. Il s’agirait donc d’un fragment d’un codex plus large, écrit par le même scribe ou au sein du même atelier de copie.

Cette identification repose sur :

  • Le type de parchemin,

  • Le style d’écriture,

  • Les correspondances textuelles précises.

Cela signifie que ces deux feuillets de Birmingham ne forment pas un manuscrit isolé mais une pièce d’un ensemble plus vaste.

Analyse textuelle

Les feuillets présentent :

  • Une très grande conformité au texte coranique standard, avec seulement quelques variantes orthographiques mineures (omission ou ajout de alif, absence de diacritiques, etc.),

  • Aucun verset inconnu ni anomalie doctrinale.

L’absence de points et de voyelles est typique des manuscrits de cette époque : la lecture correcte reposait alors sur la mémorisation orale et la familiarité linguistique.

Perspectives académiques

1. David Thomas (professeur à Birmingham)

  • Il souligne que ces feuillets pourraient avoir été copiés moins de deux décennies après la mort de Muhammad ().

  • Il les décrit comme une preuve matérielle importante de l’existence du texte coranique très tôt dans l’histoire islamique.

2. François Déroche

  • Confirme leur lien avec le codex Parisino-Petropolitanus.

  • Voit ces feuillets comme une confirmation tangible que le texte du Coran a été mis par écrit très rapidement, sans retouche majeure.

3. Nicolai Sinai (Oxford)

  • Rappelle que la datation au carbone 14 donne une fourchette, mais ne permet pas de dater la copie avec exactitude à l’année.

  • Il considère que, même si le parchemin est ancien, l’écriture du texte a pu intervenir quelques décennies plus tard – mais reste exceptionnellement ancienne.

4. Keith Small (British Library)

  • Note que ces feuillets sont très proches du texte canonique, ce qui prouve une transmission stable dès les origines.

  • Il y voit une réponse aux thèses révisionnistes extrêmes qui situaient la formation du Coran au VIIIᵉ ou IXᵉ siècle.

Interprétation et limites

  • Ces feuillets ne permettent pas, à eux seuls, de confirmer ou d’infirmer une origine exacte du Coran au temps de Muhammad (ﷺ), mais leur proximité chronologique et textuelle est frappante.

  • Le contenu limité rend impossible une analyse approfondie des variantes potentielles.

  • Mais leur existence montre que des portions du Coran étaient déjà fixées et copiées sur parchemin de manière soignée très peu de temps après l’époque du Prophète (ﷺ).

Conclusion

Les feuillets de Birmingham sont parmi les plus anciens fragments coraniques connus. Bien que leur portée soit limitée par leur contenu partiel, ils fournissent une preuve matérielle forte de la stabilité du texte coranique dès ses débuts. Leur lien avec le codex Parisino-Petropolitanus renforce l’idée d’une diffusion rapide, maîtrisée et largement unifiée du Coran dès la seconde moitié du VIIᵉ siècle.



II.C Le palimpseste de Sanaa

1. Contexte de la découverte

En 1972, lors de travaux de rénovation dans la Grande Mosquée de Sanaa (Yémen), des ouvriers découvrent un grenier scellé contenant des centaines de feuillets anciens, coraniques et non coraniques. C’est l’une des plus grandes découvertes manuscrites islamiques du XXᵉ siècle.

Parmi ces documents figure un manuscrit exceptionnel : un palimpseste, c’est-à-dire un parchemin sur lequel un texte a été effacé pour en recopier un autre par-dessus.

Ce manuscrit est aujourd’hui conservé en partie à Sanaa (Dar al-Makhtutat) et a été étudié par plusieurs équipes, notamment Gerd R. Puin (Université de Sarrebruck, Allemagne), puis par Behnam Sadeghi et Uwe Bergmann (Stanford).

2. Description matérielle

  • Contenu : le palimpseste contient environ 38 folios (76 pages), couvrant des passages de 63 sourates différentes.

  • Datation : carbone 14 sur un feuillet donne une fourchette entre 578 et 669 avec 95 % de probabilité – ce qui en fait un des manuscrits les plus anciens connus.

  • Écriture :

    • Couche inférieure : script hijâzî primitif, sans voyelles ni diacritiques.

    • Couche supérieure : plus standardisée, proche du style ‘uthmânien.

3. Deux couches de texte

Le palimpseste de Sanaa est unique par sa double écriture :

  • Texte inférieur (effacé) : probablement antérieur à la standardisation du Coran. Il présente des variantes textuelles significatives.

  • Texte supérieur (écrit par-dessus) : conforme au texte standard du Coran (rasm ‘uthmânien), donc plus tardif.

L’intérêt majeur est la possibilité de comparer deux états différents du texte coranique sur le même parchemin.

4. Variantes dans la couche inférieure

Les analyses ont révélé plusieurs types de variantes dans la couche inférieure :

  • Ordre des sourates : différent de l’ordre canonique actuel.

  • Formulations alternatives : par exemple, un mot est remplacé par un synonyme ou une forme grammaticale différente.

  • Ajouts ou omissions de mots : parfois un mot présent dans le texte canonique est absent dans la couche inférieure (et inversement).

  • Passages recomposés : des versets apparaissent regroupés différemment ou insérés dans un ordre local inhabituel.

Exemple (rapporté par Sadeghi et Bergmann, 2010) : dans une version du verset 9:80, l’expression “même si tu demandes pardon pour eux soixante-dix fois” est remplacée par “plus que soixante-dix fois” – un changement léger, mais textuellement mesurable.

Le nombre de variantes dépend du fragment analysé :

  • Sur un seul feuillet, Sadeghi recense 11 à 34 variantes (selon le niveau d’analyse),

  • La plupart ne changent ni le sens global ni la théologie du verset,

  • Mais elles montrent un texte en cours de stabilisation, pas encore entièrement figé Humainement après la révélation prophétique.

5. Interprétations et perspectives

A. Point de vue traditionnel

Dans la tradition sunnite, il est reconnu que :

  • Le Coran a été révélé en plusieurs formes de récitation (les “7 Aḥruf”),

  • Les compagnons du Prophète avaient parfois leurs propres recueils, avec de légères différences,

  • Le califat de ʿUthmân a uniformisé la version officielle, en détruisant les variantes régionales.

Le palimpseste de Sanaa confirme cette diversité initiale et son intégration dans un processus de standardisation.

B. Point de vue académique
  • Gerd Puin : voit dans le palimpseste la preuve que le texte coranique a connu une phase de formulation souple, avec des versions parallèles.

  • Behnam Sadeghi : parle d’un texte concurrent, c’est-à-dire une version ancienne, aujourd’hui perdue, mais fidèle à la même tradition orale.

  • François Déroche : estime que ces variantes sont le reflet d’un travail d’harmonisation progressif, pas d’une falsification.

En résumé, la couche inférieure est probablement antérieure à la recension uthmanienne, ce qui confirme l’existence d’un travail de sélection et de normalisation.

6. Enjeux de cette découverte

  • Pour les chercheurs : le palimpseste de Sanaa est une mine d’or pour l’histoire du texte coranique. Il montre que la transmission du texte a été rapide, mais non instantanément uniforme.

  • Pour les musulmans : cette découverte ne remet pas en cause la foi en la préservation divine du Coran, car les différences restent très marginales, ne concernent pas la structure globale, et s’inscrivent dans les marges reconnues par la tradition.

Conclusion

Le palimpseste de Sanaa est le témoin unique d’une phase de fluidité contrôlée du texte coranique. Il ne prouve ni falsification ni invention tardive, mais il documente l’évolution vers la version stabilisée que le calife ʿUthmân a ensuite imposée comme norme.

Il rappelle aussi que, comme toute transmission ancienne, la fixation du texte sacré s’est faite à travers des processus humains rigoureux, à la fois portés par la foi, la mémoire et la discipline communautaire.

II.D. Le Codex de Topkapi

Le Codex de Topkapi est un des manuscrits coraniques les plus célèbres au monde. Il est conservé au musée du palais de Topkapi à Istanbul, dans la section des reliques sacrées. Il fait partie des artefacts les plus vénérés de l’héritage islamique ottoman, présenté comme une copie du Coran attribuée au calife Uthmân ibn Affân, troisième successeur du Prophète Muhammad (ﷺ).

Sa désignation complète est manuscrit Topkapi 44/32. Il est généralement conservé dans des conditions de sécurité et de conservation renforcées, et une reproduction fac-similée a été réalisée pour les chercheurs.

Description physique

  • Support : parchemin de haute qualité, beige à crème.

  • Dimensions : environ 41 cm × 46 cm par page.

  • Nombre de feuillets : 408.

  • Contenu : presque l’intégralité du Coran, seuls quelques feuillets sont manquants ou endommagés.

  • Écriture : coufique anguleux de type dit « omeyyade tardif », sans voyelles ni signes diacritiques.

  • Enluminures : titres de sourates et séparations sont marqués par des bandes décoratives de style géométrique.

Datation scientifique

Malgré sa réputation traditionnelle d’avoir été copié par `Uthmân lui-même ou sous sa supervision directe, les analyses paléographiques modernes infirment cette attribution.

Les spécialistes, dont François Déroche (Collège de France) et Tayyar Altıkulaç (ancien président des affaires religieuses de Turquie), situent sa copie entre 750 et 800, soit un siècle après le califat de `Uthmân.

Les éléments de datation sont :

  • Style coufique très développé, plus avancé que les premiers manuscrits hijâzī.

  • Présence de divisions ornementales qui ne sont apparues que sous les Omeyyades.

  • Absence de corrections visibles, suggérant une copie à partir d’un texte déjà standardisé.

Conclusion des experts : il ne s’agit pas d’un manuscrit uthmanien original, mais d’un manuscrit luxueux copié à partir du texte uthmanien, vraisemblablement sous les Omeyyades ou les Abbassides.

Conformité au texte canonique

Le codex de Topkapi est un témoignage matériel extrêmement fidèle au texte coranique actuel. L’analyse du contenu montre :

  • Une conformité textuelle à 99 % avec le texte du Caire de 1924 (édition de référence moderne).

  • Aucune omission ou ajout majeur.

  • Les très rares variantes sont exclusivement orthographiques ou stylistiques (comme l’ajout ou l’absence de l’alif pour noter un allongement vocalique).

Exemples de variantes recensées :

  • Substitutions de formes équivalentes : “waw + qāla” contre “faqāla”.

  • Absence de marques de fin de verset dans certaines lignes (non systématique).

Le contenu doctrinal, narratif, juridique est identique au texte coranique standard. Aucun passage n’a été ajouté ou retiré.

Perspective des spécialistes

A. Tayyar Altıkulaç
  • A dirigé l’édition fac-similée du manuscrit.

  • Estime que le codex est postérieur à `Uthmân, mais qu’il a été copié « à partir d’un modèle extrêmement fiable ».

  • Souligne son rôle comme point de référence historique de premier ordre.

B. François Déroche
  • Le classe parmi les manuscrits post-uthmaniens les plus fidèles.

  • Souligne sa valeur d’autorité dans l’histoire de la transmission, malgré sa date tardive.

  • Rappelle qu’il n’est pas nécessairement utile de chercher des manuscrits "de `Uthmân", car le texte canonique était déjà stabilisé au moment de la copie de celui-ci.

Le Codex de Topkapi est un témoin majeur de la stabilisation définitive du Coran. Bien qu’il ne soit pas une copie directe du temps de `Uthmân, il reflète la réussite de la standardisation mise en place au milieu du VIIᵉ siècle.

Il confirme que moins d’un siècle après la mort du Prophète, le texte coranique était déjà transmis avec une exactitude rigoureuse, et qu’il avait acquis une autorité scripturaire pleinement établie.

II.E. Le Codex de Samarcande

Le Codex de Samarcande est l’un des manuscrits coraniques anciens les plus connus du grand public. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque nationale Alisher Navoi de Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan.

Il est présenté comme le Coran du calife Uthmân ibn Affân, l’un des exemplaires originaux envoyés aux provinces. Il est également appelé « le Coran d’`Uthmân », et une tache sombre visible sur l’un des feuillets est souvent identifiée comme la trace de son sang, versé lors de son assassinat.

Toutefois, aucune preuve scientifique n’étaye cette tradition.

Description physique et état de conservation

  • Support : parchemin.

  • Dimensions : très grand format, environ 53 × 68 cm par page.

  • Écriture : coufique primitif, sans points diacritiques ni voyelles.

  • Nombre de feuillets : environ 353 (selon les estimations modernes).

  • Contenu : du verset 2:7 jusqu’au verset 43:10, soit environ un tiers du Coran.

  • Etat : pages incomplètes, abîmées par le temps, l’humidité et de nombreuses manipulations.

Le manuscrit est écrit dans une main très lente et régulière, avec de grands caractères, suggérant qu’il s’agissait d’un ouvrage destiné à la lecture publique ou solennelle.

Datation paléographique et scientifique

Pendant longtemps, les traditions locales ont affirmé que ce manuscrit avait été copié du vivant de `Uthmân (mort en 656), voire de sa main. Cependant, les études paléographiques modernes contredisent cette thèse.

Les chercheurs – dont François Déroche, Sadeghi, Yasin Dutton – datent le manuscrit :

  • Entre 750 et 850, sur la base :

    • Du style coufique, plus avancé que les styles du VIIᵉ siècle.

    • De l’organisation textuelle conforme aux pratiques post-uthmaniennes.

    • De la présence de marqueurs de fin de versets plus élaborés.

Une datation carbone 14 a également été effectuée sur un feuillet associé, donnant une large fourchette : 595 à 855, ce qui confirme sa production au moins une génération après `Uthmân, mais probablement au début de la période abbasside.

Fidélité au texte canonique

Le Codex de Samarcande est remarquablement proche du texte coranique standard. Les études menées par l’Académie islamique de Tachkent et par des chercheurs turcs ont montré que :

  • L’ordre des sourates est conforme à celui du muṣḥaf `uthmanien.

  • Il n’existe pas de variantes doctrinales par rapport au texte imprimé aujourd’hui.

  • Quelques variantes orthographiques apparaissent (absence de hamza, vocalisations absentes), mais elles sont conformes à l’usage de l’époque.

  • Certaines pages montrent des omissions ponctuelles, probablement dues à des erreurs de scribe (saut de ligne, répétition, omission de mots).

Ces irrégularités sont typiques des manuscrits anciens copiés à la main, surtout lorsqu’ils sont de grande taille.

Origine probable et fonction

Compte tenu de sa taille exceptionnelle, de sa beauté formelle et de son écriture très lente, il est probable que ce manuscrit ait été :

  • Copié dans un contexte impérial, sans doute pour une mosquée importante ou un gouverneur.

  • Produit comme muṣḥaf d’apparat, et non comme un exemplaire d’étude personnelle.

François Déroche suggère qu’il a pu être commandé par une autorité religieuse ou politique au VIIIᵉ siècle, dans un contexte de consolidation culturelle de l’empire abbasside ou omeyyade tardif.

Position des chercheurs

  • Altıkulaç : affirme que le manuscrit a été copié plus tard, mais à partir d’un modèle authentique basé sur la recension d’`Uthmân.

  • Déroche : le considère comme un exemplaire très fiable du Coran canonique, mais dont la qualité de copie est moins rigoureuse que celle du Topkapi.

  • Nicolai Sinai : confirme qu’il ne présente aucune divergence significative avec le texte moderne.

  • Sadeghi : relève quelques anomalies de scribe, mais aucun indice d’un texte concurrent.

Le Codex de Samarcande, malgré son attribution légendaire à `Uthmân, est en réalité un manuscrit postérieur (VIIIᵉ siècle) produit à partir d’un texte déjà figé. Il témoigne de la diffusion fidèle et uniforme du texte coranique standardisé, même dans les provinces éloignées de l’empire.

Sa valeur est moins scientifique que symbolique, mais il reste un monument de l’histoire manuscrite du Coran, et une preuve matérielle de la conservation du texte dans sa forme canonique depuis plus de 1200 ans.

III. Variantes textuelles et processus de canonisation

L’affirmation d’un Coran inchangé suscite souvent une question légitime : qu’en est-il des différences observées dans certains manuscrits anciens ? Sont-elles anodines ou significatives ? Révèlent-elles une évolution du texte ou simplement un ajustement formel ? Cette section examine les variantes textuelles répertoriées dans les plus anciens manuscrits et leur lien avec le processus de canonisation.

1. Types de variantes relevées dans les manuscrits anciens

Les variantes présentes dans les manuscrits coraniques du VIIᵉ et VIIIᵉ siècle ne sont ni nombreuses ni radicales, mais elles existent. On peut les classer en plusieurs catégories :

A. Variantes orthographiques

  • Absence ou présence d’alif (lettre utilisée pour noter une voyelle longue).

  • Usage irrégulier de lettres muettes ou redondantes (waw, yā’).

  • Graphie ancienne (avant la normalisation orthographique).

Exemple : écrire kāna (كان) sous la forme kn (كن), ce qui était courant avant les diacritiques.

B. Variantes grammaticales ou morphologiques

  • Changement de forme verbale ou nominale sans changer le sens :

    • Ex : qāla (il dit) vs faqāla (alors il dit).

  • Usage d’un synonyme courant dans une autre tribu.

C. Ajouts ou omissions de mots

  • Ajouts de mots explicites pour clarifier un pronom.

  • Omission probable d’un mot par saut de l’œil du scribe (happax).

D. Variantes d’ordre ou d’agencement

  • Réorganisation locale de certains versets dans les manuscrits les plus anciens (ex. : couche inférieure de Sanaa).

  • Classement différent de sourates dans certains codex privés (ex. : muṣḥaf d’Ibn Mas‘ûd, mentionné dans les sources classiques).

À noter : toutes ces variantes ne modifient jamais le message doctrinal ou les dogmes du Coran.

2. Le processus de canonisation

Le texte du Coran ne s’est pas figé instantanément après la mort du dernier Prophète musulman (ﷺ). Sa fixation s’est faite en plusieurs étapes, bien documentées dans la tradition islamique :

A. Phase de pluralité

  • Les compagnons disposaient de muṣḥaf-s personnels (Ibn Masʿûd, Ubayy, etc.).

  • L’existence de diverses lectures tribales était tolérée.

  • Les hadiths authentiques rapportent que le Prophète a autorisé plusieurs formes de récitation (aḥruf).

B. Recension d’`Uthmân

  • Centralisation d’une version unique, destruction des variantes régionales.

  • Création d’un rasm consonantique unique.

  • Objectif : préserver l’unité doctrinale et politique de la communauté.

C. Stabilisation définitive

  • Ajout de diacritiques et de signes de vocalisation (VIIᵉ–VIIIᵉ siècle).

  • Fixation des lectures canoniques par les écoles savantes.

  • Dès le IXᵉ siècle, le texte devient intouchable dans sa forme, et les lectures divergentes sont marginalisées ou exclues.

4. Évaluation des variantes : menace ou richesse ?

Les chercheurs distinguent aujourd’hui :

  • Variantes explicables (orthographe, dialectes, contexte).

  • Variantes liées aux aḥruf : multiplicité voulue ou acceptée par la révélation.

  • Variantes éliminées pour uniformiser, sans trahir le contenu.

Le consensus académique est que le texte coranique tel que nous le connaissons a subi un processus de canonisation rapide, terminé en une à deux générations.

Les variantes textuelles observées dans les manuscrits anciens du Coran sont minoritaires, compréhensibles et bien documentées. Elles ne relèvent pas d’une altération, mais d’un processus de transmission vivant dans un cadre Humain, et encadré. Le texte a connu une phase de fluidité, suivie d’une normalisation, aboutissant à une forme canonique étonnamment stable depuis le milieu du VIIᵉ siècle.



IV. Les lectures canoniques (qirâ’ât) et la tradition orale

Le Coran n’a pas seulement été transmis par l’écrit : il l’a été d’abord et avant tout par la récitation. Cette oralité, profondément enracinée dans la culture arabe, a donné naissance à une tradition de lectures autorisées (qirâ’ât), issues du même texte consonantique mais prononcées de manière légèrement différente. Cette pluralité n’est pas un défaut ou une dérive : elle est intégrée dans la tradition sunnite comme faisant partie de la richesse révélée.

1. Origines de la diversité des lectures

A. Le hadith des « sept aḥruf »

Plusieurs hadiths rapportés dans les recueils authentiques (notamment al-Bukhârî et Muslim) mentionnent que le Prophète Muhammad (ﷺ) aurait déclaré :

« Ce Coran a été révélé selon sept aḥruf (formes/modes/lectures) »
(Bukhârî n°4991)

L’interprétation de ce hadith a donné lieu à de nombreux débats. Ce qui est généralement admis :

  • Les « aḥruf » désignent des variations permises dans la récitation.

  • Ces variantes touchaient aux formes grammaticales, aux synonymes ou aux dialectes tribaux.

  • Toutes étaient considérées comme révélées, donc légitimes.

B. Objectif : faciliter la récitation

L’Arabie du VIIᵉ siècle comprenait des tribus aux dialectes variés. Permettre des lectures multiples était une forme de facilité divine, afin que chacun puisse accéder au message sans contrainte linguistique.

2. La fixation du rasm et l’émergence des qirâ’ât

Le calife `Uthmân, lors de la recension du Coran, impose un texte consonantique sans voyelles ni points diacritiques (rasm), basé sur le dialecte de Quraysh.

Ce texte, dépourvu d’indications vocaliques, pouvait être lu de plusieurs façons, tant que cela ne changeait pas radicalement le sens. Cela a permis à différentes écoles de récitation de coexister dans le cadre du rasm unique.

3. Les lectures canoniques (qirâ’ât)

A. Codification au IXᵉ–Xᵉ siècle

Les érudits musulmans ont progressivement recensé, analysé et validé les lectures transmises par les maîtres de récitation les plus fiables. Le savant Ibn Mujāhid (936) est celui qui a canonisé les 7 qirâ’ât les plus solides, chacun transmis par deux « transmetteurs » (rāwī).

Ces lectures partagent :

  • Le même rasm uthmanien (aucune différence de consonnes).

  • Des différences de vocalisation, allongement, assimilation, forme grammaticale.

  • Des formulations alternatives légères, toujours compatibles avec le contexte.

B. Exemples de lectures canoniques

  1. Hafs ‘an ‘Asim (la plus répandue dans le monde musulman)

  2. Warsh ‘an Nafi‘ (Afrique du Nord)

  3. Qalun ‘an Nafi‘ (Libye, Tunisie)

  4. Al-Duri ‘an Abu ‘Amr

  5. Khalaf ‘an Hamza
    etc.

Chaque lecture a une chaîne de transmission rigoureuse, remontant jusqu’au Prophète Muhammad (ﷺ)

4. Perception des qirâ’ât dans le sunnisme

Dans la doctrine sunnite :

  • Les qirâ’ât ne sont pas des versions différentes du Coran, mais des modes complémentaires de récitation.

  • Elles sont toutes considérées comme valables, authentiques et divinement permises.

  • Leur reconnaissance renforce la souplesse et l’accessibilité du texte sacré.

5. Critiques, malentendus et précisions

A. Confusion avec les variantes de manuscrits

Certaines personnes confondent les qirâ’ât avec les différences textuelles entre manuscrits anciens. Or :

  • Les qirâ’ât sont normalisées, récitées et enseignées, avec règles strictes.

  • Les variantes de manuscrits anciens (pré-‘uthmaniens) sont le reflet d’un stade antérieur du texte, non utilisé aujourd’hui dans la liturgie.

B. Position académique

Des chercheurs comme Neuwirth, Sinai, Déroche ou Donner confirment que les qirâ’ât sont issues de l’interprétation orale du rasm, et que leur pluralité est historiquement attendue, étant donné l’écriture sans voyelles.

Les qirâ’ât ne sont pas une menace à l’unité du Coran, mais une richesse intégrée dans sa transmission. Leur diversité est admise, réglementée, enseignée, et fait partie du patrimoine vivant de l’islam. En somme, le Coran est unique dans son message, mais multiple dans ses sonorités, comme l’ont voulu ses premiers récitateurs.


V. Position des savants sunnites sur l’idée d’un Coran « inchangé »

L’idée que le Coran est « inchangé » depuis sa révélation est une croyance fondamentale dans l’islam sunnite. Mais que signifie exactement cette formule ? Implique-t-elle une identité absolue lettre pour lettre ? Tolère-t-elle les variantes de lecture ? Et comment cette notion est-elle formulée par les savants classiques et contemporains ? Cette section explore les différentes façons dont la tradition sunnite conçoit la préservation du Coran, en tenant compte de la diversité interne et des débats pédagogiques récents.

1. Fondement doctrinal : un texte protégé par Dieu

Le fondement central de la doctrine sunnite repose sur un verset du Coran :

(Traduction approximative du Coran verset Al Hijr 15:9) « En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre le Coran, et c’est Nous qui en sommes gardien. »

Les savants sunnites interprètent ce verset comme une garantie divine de préservation du texte coranique contre toute altération humaine.

Cela signifie :

  • Aucune falsification n’a pu être introduite.

  • Aucune perte de contenu n’a eu lieu depuis la mort du Prophète.

  • Toute diversité authentifiée (qirâ’ât) est vue comme faisant partie de la révélation ou validée par elle.

2. Le rôle de la standardisation ‘uthmanienne

Dans le récit classique, le calife `Uthmân a uniformisé le texte coranique pour éviter les divergences dialectales. Les savants considèrent cette action non pas comme une altération, mais comme une protection inspirée, rendue nécessaire par l’expansion rapide de l’islam.

Certains, comme Ibn Ḥajar al-ʿAsqalānī, soutiennent que cette initiative était conforme à la volonté prophétique, et donc bénie, même si elle impliquait la destruction de copies divergentes.

3. Lecture dominante : un Coran fixé depuis `Uthmân

Les savants classiques (al-Ṭabarī, al-Nawawī, al-Qurṭubī, etc.) et modernes s’accordent pour dire que :

  • Le texte coranique a été définitivement fixé au temps de `Uthmân.

  • Aucun ajout, suppression ou changement majeur n’a eu lieu depuis.

  • Les qirâ’ât reconnues sont des variantes internes autorisées, transmises oralement à travers des chaînes fiables (isnād).

L’édition du Caire de 1924 (lecture de Ḥafṣ ʿan ʿĀṣim) est la forme normalisée la plus répandue, mais elle coexiste avec d’autres lectures (comme Warsh au Maghreb), toutes issues du même rasm consonantique.

4. Position vis-à-vis des manuscrits anciens

Aujourd’hui, la découverte de manuscrits comme le palimpseste de Sanaa ou les feuillets de Birmingham suscite des réactions diverses :

  • Savant sunnite traditionnel : ces manuscrits confirment l’authenticité générale du texte, et les variantes observées s’expliquent par l’histoire des qirâ’ât ou par l’évolution orthographique.

  • Chercheur universitaire musulman : ils illustrent une phase normale de mise en texte, sans que cela contredise l’idée de préservation.

  • Théologien apologète : ces variantes sont sans importance, et la structure du Coran est identique à ce qu’elle a toujours été.

Dans tous les cas, le consensus sunnite reste unanime : le Coran d’aujourd’hui est celui révélé à Muhammad (), transmis avec rigueur et sans altération doctrinale.

L’idée d’un Coran « inchangé » est affirmée de manière forte dans la pensée sunnite, mais cette immutabilité s’entend dans un cadre précis :

  • Le contenu du message n’a jamais été modifié.

  • Le texte canonisé sous `Uthmân est resté intact.

  • `Uthmân a fait le choix, avec rigueur, de garder le texte révélé au prophète Muhammad (ﷺ)

  • Les lectures multiples admises enrichissent la récitation, sans altérer le fond.

Les débats contemporains ne remettent pas en cause ce principe, mais incitent à plus de rigueur dans l’enseignement, pour intégrer les données historiques sans affaiblir la foi dans la protection divine du texte.

Conclusion

L’examen historique de la transmission du Coran, appuyé sur les sources manuscrites, la tradition islamique et les recherches académiques contemporaines, permet aujourd’hui d’apporter une réponse mesurée, mais solide, à la question de son immutabilité.

Les manuscrits les plus anciens à notre disposition – Codex Parisino-Petropolitanus, feuillets de Birmingham, palimpseste de Sanaa, Codex de Topkapi, entre autres – couvrent l’ensemble des périodes clés de la première transmission écrite du Coran. Ils révèlent un texte remarquablement cohérent, avec des variantes mineures limitées à des éléments orthographiques, stylistiques ou grammaticaux. Dans certains cas (comme Sanaa), des différences plus significatives apparaissent, mais elles confirment une phase transitoire de fixation, non un contenu concurrent ou contradictoire.

Les données archéologiques, paléographiques et philologiques permettent aujourd’hui d’affirmer que le texte du Coran tel qu’on le connaît était déjà largement stabilisé dans les décennies qui ont suivi la mort de Muhammad (). Le processus de recension et de standardisation mené sous les califes Abû Bakr puis `Uthmân a été d’une efficacité exceptionnelle, en termes de centralisation, de diffusion et de contrôle du texte. L’émergence des lectures canoniques (qirâ’ât) au sein du rasm ‘uthmânien illustre une diversité maîtrisée et réglementée, non un éclatement du contenu.

De nombreux chercheurs, musulmans ou non, issus d’universités comme Oxford, Berlin, Chicago, Paris ou Istanbul, s’accordent sur l’essentiel : le Coran est un texte ancien, rédigé dans l’Arabie du VIIᵉ siècle, sans preuve de modification tardive ou de construction artificielle. La structure, le style et le contenu du Coran sont homogènes et historiquement situables. En cela, le Coran fait figure d’exception dans l’histoire des textes religieux : aucun autre texte antique, transmis sur plus de treize siècles, ne présente un tel degré de conservation.

Du point de vue des croyants musulmans, cette stabilité est le reflet de la promesse divine contenue dans le texte lui-même (Coran 15:9). Pour les historiens, elle est la conséquence d’un système de transmission oral et écrit à la fois souple et rigoureux, solidifié très tôt par l’institution politique et religieuse.

En définitive, si l’on entend par « inchangé » un texte dont le contenu – c’est-à-dire ses sourates, ses versets, son ordre global, ses messages fondamentaux – n’a pas été modifié depuis l’époque de sa fixation initiale, alors les faits documentés et vérifiables convergent vers une réponse claire : le Coran, dans sa forme canonique, est resté substantiellement le même depuis le VIIᵉ siècle.