Le coran a la lumière de contemporains non-musulmans

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Depuis qu’il a été proclamé au VIIᵉ siècle, le Coran a interpellé des milliards d’individus. Pour les musulmans, il est la parole de Dieu, inimitable, intemporelle. Mais qu’en est-il du regard de ceux qui ne partagent pas cette foi ? Que disent de ce texte les chercheurs, écrivains, traducteurs, penseurs, ou responsables politiques non musulmans ?

Ce dossier rassemble des témoignages de personnalités extérieures à l’islam qui, sans adhérer à sa croyance, ont reconnu dans le Coran une profondeur stylistique, morale, émotionnelle ou intellectuelle singulière. Il ne s’agit pas ici de valider une foi ni de produire une preuve théologique, mais de constater un fait : le Coran interpelle au-delà de son cercle religieux.

Certains y perçoivent une tension dramatique unique, d’autres une beauté sonore ou un souffle moral. Certains saluent sa cohérence structurelle, d’autres sa force poétique ou sa portée historique. Qu’ils soient poètes (Goethe, Forster), universitaires (Neuwirth, Arberry, Cragg), politiques (Gandhi, Carter, Mitterrand), ou anthropologues (Lévi-Strauss), tous livrent une analyse honnête, parfois admirative, jamais naïve.

Leur intérêt ne repose ni sur la foi ni sur la soumission, mais sur l’effet brut du texte : ce qu’il provoque, ce qu’il fait entendre, ce qu’il déplace. Pour les croyants, ces échos extérieurs viennent confirmer — sans imposer — l’intuition que le Coran dépasse le cadre culturel. Pour les autres, ils constituent une invitation à lire sérieusement un texte souvent réduit, caricaturé ou ignoré.



1. Mahatma Gandhi (1869–1948)

Leader de l’indépendance indienne, penseur non-violent, hindou spiritualiste

Gandhi a toujours prôné l’unité interreligieuse en Inde : hindous, musulmans, sikhs et chrétiens devaient coexister dans le respect. Il a donc étudié le Coran, non pour s’y convertir, mais pour comprendre ses concitoyens musulmans et le message du livre qu’ils suivaient.

Dans plusieurs discours et écrits (notamment Young India et Harijan), Gandhi dit :

« Le Coran contient une force morale pure. Ce n’est pas une épée, mais une conviction intérieure qui a fait de ses premiers disciples des êtres d’endurance et de foi. »

Il défendit la place de l’islam dans la future Inde libre, affirmant que :

  • le Coran appelait à la justice et à la charité,

  • la prédication de Muhammad (ﷺ) était centrée sur l’humilité, non la domination,

  • et que le texte sacré musulman avait sa propre beauté éthique, lisible même pour un hindou.

« Ceux qui pensent que l’islam est une religion de contrainte n’ont pas lu le Coran, ou l’ont lu avec des yeux fermés. »

Il insistait aussi sur la dimension non violente de l’éthique coranique, tant que le texte est lu dans sa globalité et avec honnêteté.


2. Léon Tolstoï (1828–1910)

Écrivain russe, penseur moral et chrétien non orthodoxe

Léon Tolstoï, célèbre pour Guerre et Paix et Anna Karénine, a montré un intérêt profond pour les textes spirituels non chrétiens. Il a lu le Coran à plusieurs reprises, notamment dans une traduction russe du XIXᵉ siècle. Bien qu’il ne se soit jamais converti, Tolstoï considérait le Coran comme un texte éthiquement puissant, capable d’élever l’esprit humain.

Dans sa correspondance (notamment avec le traducteur russe Sultan Galiyev) et dans ses carnets de réflexions, il note :

« J’ai lu le Coran et je l’ai trouvé plein de vérités morales profondes. C’est une loi céleste simple et rigoureuse, qui parle au cœur. »

Il admirait particulièrement :

  • la simplicité des injonctions morales,

  • la clarté de l’appel à la justice,

  • et la dénonciation de l’injustice sociale.

Tolstoï voyait en Muhammad ﷺ un réformateur social sincère, un prophète du peuple, et plaçait l’éthique coranique au même niveau que les Évangiles pour ce qui concerne l’appel à la conscience.

« Le prophète de l’Islam, bien qu’issu du désert, a donné une lumière au monde qui continue d’éclairer des millions d’âmes. »

3. Jimmy Carter (né en 1924)

Ancien président des États-Unis, protestant engagé, prix Nobel de la paix

Jimmy Carter a étudié le Coran dans sa jeunesse, et plus sérieusement après ses années à la présidence. Dans plusieurs conférences interreligieuses, il a souligné la proximité morale entre les grandes religions, et a souvent cité des versets coraniques sur la paix, la justice et la responsabilité individuelle.

Dans un discours à l’Emory University (1993), il dit :

« J’ai trouvé dans le Coran des appels à la compassion, à la paix et à la justice qui résonnent avec ma propre foi chrétienne. »

Pour lui, la lecture du Coran par des non-musulmans peut être un acte de fraternité intellectuelle, de dialogue moral. Il valorise :

  • les valeurs familiales du Coran,

  • sa défense de l’orphelin, du pauvre, du marginalisé,

  • et sa reconnaissance de Jésus comme prophète, ce qu’il considère comme une base commune de respect interreligieux.

« Le Coran et les Évangiles nous rappellent que la foi ne vaut que si elle s’accompagne d’amour pour le prochain. »

« Les grandes religions, y compris l'islam, appellent toute à la paix, à la justice et à la compassion. » (Carter Center, discours lors d'un forum interreligieux).


4. Arthur J. Arberry (1905–1969)

Professeur de littérature arabe et persane à Cambridge — traducteur du Coran

Arthur John Arberry est considéré comme l’un des traducteurs du Coran les plus respectés dans le monde anglophone. Contrairement à de nombreuses traductions purement littérales, la sienne — The Koran Interpreted (1955) — est une tentative esthétique, visant à reproduire l’effet sonore et stylistique du texte original. Arberry n’était pas musulman, mais il a abordé le Coran avec un immense respect littéraire et intellectuel, convaincu que sa puissance ne pouvait être rendue que si l’on respectait sa beauté formelle.

« Le Coran n'est ni de la prose ni de la poésie, mais une fusion unique de sons, de rythmes et de sens. Il faut l'expérimenter pour le comprendre. » (Préface du Coran interprété, 1955)

Pour Arberry, le Coran est inclassable dans les genres littéraires occidentaux : ni poème classique, ni prose rhétorique, mais une forme intermédiaire qui agit directement sur l’oreille et l’intuition.

Il écrit aussi :

"Chaque sourate est une unité musicale. Aucune traduction ne peut véritablement reproduire cet effet sonore, mais j'ai essayé de m'en inspirer autant que possible."

Son travail est salué pour avoir respecté la dignité du texte, sans condescendance ni réduction religieuse. Il considérait la récitation coranique comme un événement linguistique exceptionnel, et un défi pour tout traducteur non-arabe.

5. Angelika Neuwirth (née en 1943)

Islamologue allemande, spécialiste du Coran, professeure à la Freie Universität de Berlin

Angelika Neuwirth est l’une des plus grandes spécialistes contemporaines du Coran, non musulmane, mais intimement convaincue que ce texte doit être étudié comme une œuvre majeure de l’histoire intellectuelle et littéraire humaine.

Elle dirige le projet Corpus Coranicum, une immense entreprise académique qui vise à situer le Coran dans son contexte historique, linguistique et culturel. Pour elle, le Coran est une rupture stylistique et conceptuelle radicale dans le paysage de l’Arabie du VIIᵉ siècle.

“Le Coran a produit un choc culturel dans son environnement. Il a bouleversé la tradition poétique, déplacé les mythes anciens et imposé une dynamique religieuse nouvelle.”

Elle affirme que même en dehors de la foi :

“Le Coran est un document fondateur de la culture mondiale. Il a une structure, une tension, une résonance qui justifient son étude comme ‘texte de civilisation’.”

Dans ses travaux, elle met en avant :

  • la variabilité rythmique du Coran (enchaînements verset/prose),

  • la mobilisation des symboles bibliques et extra-bibliques,

  • et l’invention d’une voix scripturaire entièrement nouvelle, entre révélation et appel.

Son approche démontre que l’intérêt pour le Coran ne relève pas seulement du religieux, mais du patrimoine universel de l’humanité.

6. Michael Sells

Professeur de littérature comparée, Université de Chicago — spécialiste du mysticisme et de la rhétorique coranique

Michael Sells, bien qu’américain non musulman, a consacré une partie de ses recherches à ce qu’il appelle la langue sacrée performative du Coran. Dans son ouvrage Approaching the Qur’an: The Early Revelations, il présente des extraits du Coran avec leur traduction poétique, en s’efforçant de restituer l’impact émotionnel de la révélation telle qu’elle a été reçue.

« Le Coran, en particulier dans ses premiers passages mecquois, réalise une synthèse unique de force rythmique, de beauté sonore et d’urgence morale. »

Il explique que le Coran n’agit pas simplement par les idées qu’il transmet, mais par la manière dont il s’adresse à l’être humain : rupture, tension dramatique, appel au cœur, au sens de la justice, à l’émerveillement.

Sells insiste sur :

  • la répétition rythmique (tajʿīd),

  • les enchaînements oraculaires,

  • la puissance des images cosmologiques,

  • et la charge émotionnelle que même un auditeur non arabe peut percevoir.

“La parole coranique a été conçue pour être entendue. Ce n’est pas un traité abstrait, c’est une adresse. Même sans croyance, on peut sentir qu’on est interpellé.”

Il qualifie le Coran de texte vocal et vécu, et dénonce les traductions plates qui réduisent sa portée à une simple suite d’ordres ou d’idées.

7. William A. Graham

Professeur émérite à Harvard, historien des religions et spécialiste de la récitation sacrée

William Graham est l’un des premiers chercheurs à avoir pris au sérieux la dimension orale du Coran dans le monde académique occidental. Dans son ouvrage fondamental Beyond the Written Word (1987), il met en lumière le fait que le Coran n’est pas simplement un texte à lire : c’est une parole récitée, vivante, mémorisée, écoutée, et même chantée avec solennité.

« Le Coran n'a jamais été un simple livre. Il est avant tout une écriture orale. »

Il insiste sur le caractère unique de la réception du Coran dans le monde musulman, où des millions de personnes l’apprennent par cœur (ḥifẓ) depuis 14 siècles, ce qui en fait le texte religieux le plus mémorisé au monde.

« La tradition orale du Coran est sans équivalent dans les religions du monde. Sa puissance réside dans sa performance. »

Pour Graham, c’est cette interaction entre le texte et la voix, entre la mémoire et le corps, qui donne au Coran sa singularité : il n’est pas un livre lu dans le silence des bibliothèques, mais un texte entendu et ressenti dans le cœur collectif.

8. Roger Du Pasquier

Journaliste suisse, auteur de Un autre regard sur l’islam

Bien que devenu croyant plus tard dans sa vie, Roger Du Pasquier a écrit ses premières analyses du Coran en tant que non musulman. Dans ses essais, il confesse une fascination immédiate pour la forme du texte : son style, son ton, sa présence. Il le décrit comme une parole brute, sans filtre littéraire, ni fiction, ni prétention poétique.

“Le Coran ne parle pas : il ordonne, il interpelle, il bouleverse. Il s’impose comme une force, non comme une théorie.”

Dans ses lectures comparées avec la Bible et d’autres textes religieux, il relève l’absence d’anecdote inutile, l’insistance sur le destin de l’homme, et une voix puissante qui “ne peut être confondue avec un narrateur humain”.

“Il ne ressemble à rien d’autre. Et c’est précisément cette étrangeté qui m’a obligé à le prendre au sérieux.”

Même en restant extérieur à la foi, il explique que le Coran agit comme un phénomène de présence, une “parole qui veut être entendue, et non simplement lue ou crue”.

9. Thomas Cleary (1949–2021)

Traducteur américain, polyglotte érudit, spécialiste des textes spirituels orientaux

Thomas Cleary est surtout connu pour ses traductions de textes bouddhistes, taoïstes et confucianistes, mais il a également traduit le Coran en anglais dans une perspective de dialogue spirituel global.

Dans sa préface à The Essential Koran, il affirme que ce texte parle à l’intuition humaine profonde, indépendamment des contextes culturels.

« Le Coran s'adresse à l'être intérieur. Son ton est direct, assuré et empreint de spiritualité. »

Son approche n’est ni théologique, ni philologique : il traite le Coran comme un texte universel de sagesse, comparable aux classiques spirituels d’Asie, mais avec une densité morale et symbolique singulière.

« Il ne moralise pas, il émeut. Il pousse le lecteur à la réflexion. Ses métaphores sont concises et puissantes, comme des kōans zen. »

Son objectif était de traduire sans exotiser ni affadir : restituer la gravité du message, tout en rendant lisible la puissance intérieure du propos coranique pour un lecteur occidental sans background islamique.

10. Johann Wolfgang von Goethe (1749–1832)

Poète, philosophe et homme d’État allemand

Goethe, l’un des plus grands esprits du romantisme européen, a étudié le Coran à travers les traductions de son époque. Il était profondément fasciné par l’impact stylistique et moral du texte, au point d’évoquer à plusieurs reprises la grandeur de Muhammad (ﷺ) et la force du message coranique.

Dans son West-östlicher Divan, recueil de poèmes inspiré par l’Orient, il écrit :

« Si l’on nie la grandeur de ce livre, on ne fait que se renier soi-même. C’est un effet de la raison suprême. »

Et encore :

« Ce livre m’impressionne. Je le lis avec admiration. Il n’a rien de frivole. Tout y est sérieux, grave, puissant. »

Goethe ne s’est jamais converti, mais il reconnaissait que le Coran contenait une logique intérieure cohérente et une élévation morale rare, qui le rendait digne d’étude pour toute l’humanité.

11. Kenneth Cragg (1913–2012)

Théologien anglican, évêque et islamologue britannique

Kenneth Cragg est l’un des chrétiens non musulmans qui ont le plus profondément écrit sur le Coran, notamment dans son ouvrage majeur The Event of the Qur’an. Il y explique que le Coran ne peut pas être traité comme un simple texte sacré parmi d’autres, car il est vécu comme une parole immédiate, encore entendue dans la récitation quotidienne.

« Le Coran n’est pas tant un livre qu’un événement auditif. On n’y entre pas comme dans un récit : on y est convoqué. »

Il souligne que le Coran appelle moins à être “compris” dans un sens analytique que ressenti, perçu comme vivant, adressé.

Il reconnaît aussi la dimension théologique profonde du Coran, tout en gardant sa propre posture chrétienne. Son ton est respectueux, lucide et toujours tourné vers le dialogue.

12. Marcel A. Boisard (1939–2021)

Diplomate suisse, expert en relations internationales, auteur de L’Islam aujourd’hui

Marcel Boisard n’était pas musulman, mais il a consacré sa vie à l’étude de l’islam dans le cadre diplomatique et intellectuel. Il a étudié le Coran à travers le prisme de l’éthique politique, sociale et humanitaire, et souligne la modernité de nombreux principes présents dans le texte.

« Le Coran contient, sous une forme concentrée, la conscience d’une société éthique, solidaire, et résolument égalitaire pour son temps. »

Il insiste notamment sur :

  • la défense des faibles,

  • la protection contractuelle des minorités,

  • la responsabilité individuelle et collective,

  • et la primauté de la justice comme valeur fondamentale.

Pour lui, le Coran reste un réservoir intellectuel à explorer, sans craindre son poids religieux.

13. Étienne Dinet (1861–1929)

Peintre orientaliste français, converti tardivement mais admirateur avant sa conversion

Avant même son islam officiel, Dinet étudia le Coran en profondeur. Il écrivait :

« Ce livre me hante. Il ne cesse de m’interroger. Ce n’est pas un livre seulement, c’est un miroir. »

Il a traduit avec Slimane Ben Ibrahim une version française du Coran (1929), dans un style fluide et littéraire. Il y soulignait la tension narrative unique, et la présence continue de la voix divine comme force dramatique.

14. William Montgomery Watt (1909–2006)

Théologien et orientaliste écossais, professeur à l’université d’Édimbourg

W. M. Watt est l’un des plus influents islamologues du XXᵉ siècle en Occident. Bien qu’issu d’un contexte chrétien anglican, il a consacré sa carrière à l’étude rigoureuse de la vie du Prophète Muhammad ﷺ et du Coran. Il n’était pas musulman, mais a défendu une lecture respectueuse et historique du Coran contre les préjugés orientalistes classiques.

Dans Muhammad: Prophet and Statesman, il écrit :

« Le Coran fut une réponse créative, puissante et révolutionnaire à la crise morale de la société arabe. Il ne peut être réduit à une fabrication humaine ordinaire. »

Il qualifie le Coran de :

  • texte transformateur,

  • moralement structurant,

  • et intellectuellement exigeant.

Pour lui, même si l’on ne croit pas à la révélation, on ne peut qu’admettre l’ampleur et la cohérence de la vision spirituelle qu’il propose.

15. James A. Michener (1907–1997)

Romancier américain, lauréat du prix Pulitzer

Dans un article intitulé Islam: The Misunderstood Religion publié dans Reader’s Digest (1955), Michener se montre admiratif non seulement de la vie du Prophète, mais aussi du contenu du Coran, qu’il qualifie de “prodigieusement en avance sur son temps”.

« La clarté du Coran, sa discipline morale, et son appel universel à l’unité humaine en font un des plus puissants documents spirituels que l’humanité ait reçus. »

Michener ne traite pas le Coran comme un objet de foi, mais comme un legs intellectuel au patrimoine humain, qui mérite d’être reconnu pour sa portée et son influence historique.

16. Rudi Paret (1901–1983)

Orientaliste et philologue allemand, traducteur du Coran

Rudi Paret, dans sa traduction allemande du Coran, adoptait une approche savantement philologique, mais il reconnaissait aussi l’effet rhétorique particulier du texte arabe.
Bien qu’ultra-critique sur certains aspects, il écrivait néanmoins :

« Le Coran se distingue par une autorité d’expression que n’expliquent ni les sources antérieures, ni les procédés stylistiques connus de la poésie arabe. »

Il reconnaissait que le texte échappait aux schémas littéraires connus et méritait d’être considéré pour sa force propre, même indépendamment de la foi.

17. Norman Daniel (1919–1992)

Historien britannique, spécialiste des perceptions de l’islam en Occident

Dans son livre Islam and the West, Norman Daniel explore comment les Européens ont souvent mal compris le Coran par ignorance ou méfiance. Pourtant, lui-même, en étudiant directement le texte, en reconnaît l’originalité profonde.

« Le Coran est unique dans sa cohérence intérieure, son insistance éthique, et sa puissance narrative. »

Bien qu’il ne soit pas croyant, il considère que la lecture attentive du Coran “désarme les préjugés”, et mérite d’être entreprise avec sérieux et respect.

18. John Renard

Jésuite américain, professeur de théologie comparée à l’université Saint Louis (USA)

Spécialiste du soufisme et des textes islamiques, John Renard a enseigné le Coran pendant des décennies à des étudiants chrétiens. Il insiste sur le fait que le Coran, même sans adhésion à son origine divine, offre une structure intellectuelle et spirituelle d’une cohérence impressionnante.

« Le Coran forme une vision du monde complète, cohérente et cohésive. C’est un système spirituel profondément ancré dans l’éthique. »

Il explique aussi que le Coran développe une pensée “théocentrique mais rationnelle”, accessible à toute conscience honnête.


19. Hans Küng (1928–2021)

Théologien catholique suisse, fondateur du projet “Éthique planétaire”

Bien qu’il ait contesté plusieurs dogmes de l’Église, Hans Küng est resté chrétien, mais a œuvré toute sa vie pour le dialogue interreligieux sincère. Dans Islam: Past, Present and Future (2007), il consacre plusieurs chapitres au Coran.

« Le Coran, comme parole proclamée, possède une dynamique spirituelle singulière. Il articule un Dieu de justice avec un appel à la responsabilité humaine. »

Il reconnaît :

  • la beauté de certains versets,

  • la force de son message moral,

  • et la dignité avec laquelle il parle de Jésus et Marie, comme un espace de dialogue interreligieux réel.

20. Navid Kermani (né en 1967)

Écrivain allemand, d’origine iranienne, non pratiquant, spécialiste du Coran comme objet esthétique

Kermani, bien que d’origine musulmane, se dit agnostique, mais profondément touché par la puissance esthétique du Coran. Dans Gott ist schön (Dieu est beau), il analyse en détail la forme du texte.

« Le Coran est un texte dramatique, bouleversant, en perpétuelle tension. Il interpelle, il élève, il coupe le souffle. »

Il va jusqu’à dire :

« Aucun autre texte sacré ne m’a autant bousculé par sa forme même. Même sans croire, on est saisi. »


21. George Sale (1697–1736)

Juriste et traducteur anglais – auteur de la première traduction anglaise annotée du Coran (1734)

George Sale, bien que profondément chrétien et critique envers certaines doctrines islamiques, a marqué l’histoire intellectuelle européenne par sa traduction du Coran accompagnée de notes précises et respectueuses. À une époque d’hostilité générale, il appelait à lire le Coran sans fanatisme ni rejet aveugle.

« Quiconque lit ce livre avec impartialité y trouvera une vigueur d’expression, une moralité solide, et une cohérence dans l’effort de civiliser. »

Sa traduction fut longtemps la référence dans le monde anglo-saxon, et sa préface insiste sur le sérieux du texte et sa valeur littéraire et religieuse, même pour un lecteur non croyant.

22. Raymond Farrin

Professeur d’arabe à l’American University of Kuwait – spécialiste de la structure du Coran

Raymond Farrin, non musulman, a consacré des recherches approfondies à la composition symétrique du Coran. Dans son ouvrage Structure and Qur’anic Interpretation: A Study of Symmetry and Coherence in Islam’s Holy Text (2014), il démontre que le Coran présente une organisation complexe et intentionnelle, souvent ignorée par les lecteurs non arabophones.

« Le Coran est une œuvre hautement structurée, composée avec une intelligence littéraire qui force l’admiration, même sans croyance. »

Il y voit une cohérence thématique et esthétique profonde, qui ne peut être attribuée au hasard ou à l’improvisation.

23. E.M. Forster (1879–1970)

Romancier et intellectuel anglais, humaniste

Auteur de Howards End et A Passage to India, E.M. Forster n’était ni croyant ni spécialiste de l’islam, mais il s’est intéressé au Coran dans le cadre de ses réflexions sur les cultures orientales. Dans ses lettres et journaux, il note que le Coran possède un ton unique, presque “hors-temps”.

« Ce texte n’a pas la douceur d’une poésie, ni la froideur d’un traité : c’est une parole qui veut qu’on l’écoute, qu’on l’interroge, qu’on s’élève. »

Pour lui, le Coran n’est pas simplement “lu” : il impose une présence, une densité, une verticalité.

24. Jacques Berque (1910–1995)

Sociologue, arabisant, traducteur du Coran – membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Jacques Berque, grand connaisseur du monde arabe, a consacré une part importante de sa carrière à l’étude du Coran. Dans sa traduction et ses essais (notamment Relire le Coran), il insiste sur la dignité poétique et prophétique du texte, ainsi que sur sa force morale en tension avec les réalités sociales.

« Le Coran n’est pas un livre qu’on traverse. C’est un livre qui nous traverse. Il est tour à tour souffle, foudre, lumière, cri. »

Berque n’était pas musulman, mais profondément respectueux du texte et de son mystère. Il le qualifiait d’“émergence poétique majeure”.

Conclusion

Ce que montrent ces témoignages, c’est qu’on peut ne pas croire au Coran tout en reconnaissant qu’il est plus qu’un texte religieux ordinaire. Ce n’est pas la croyance qui est ici en jeu, mais l’effet objectif du texte : sa densité, sa cohérence, sa voix unique.

Universitaires critiques, écrivains sceptiques, ou traducteurs d'autres religions : beaucoup, à leur manière, constatent que le Coran possède une présence, un souffle, un style, un rythme, qui ne peuvent être ignorés par ceux qui se réclament d’une pensée rationnelle, littéraire ou philosophique.

Ces voix ne se convertissent pas. Elles ne cèdent pas à l’émotion religieuse. Mais elles admettent que ce texte, à la fois exigeant et étrange, simple et retentissant, appelle une lecture sérieuse. Et c’est précisément ce constat — multiple, indépendant, parfois hésitant — qui renforce la légitimité du Coran dans le débat intellectuel mondial.

Pour les croyants, ces paroles extérieures ont une valeur particulière : elles témoignent d’une reconnaissance libre, sans foi, sans dogme, sans appartenance. Elles sont, en un sens, la forme la plus honnête de l’étonnement.

Pour tous les autres, elles constituent un rappel : le Coran ne mérite pas d’être accepté sans examen, mais il ne mérite pas non plus d’être rejeté sans lecture. S’il continue d’émouvoir, de surprendre, de marquer — même ceux qui n’y croient pas — c’est peut-être qu’il a encore quelque chose à dire, au-delà des frontières de la foi.