Jésus et Marie : Figure de respect partagé par le christiannisme et l'islam

1. Une figure centrale, honorée par le Coran

Dans l’islam, Jésus — appelé ʿĪsā en arabe — est l’un des prophètes les plus éminents. Il est mentionné 25 fois par son nom dans le Coran, plus que Muhammad lui-même, et bénéficie de titres exceptionnels :

  • “al-Masīḥ” (le Messie),

  • “Kalimat Allāh” (Parole de Dieu),

  • “Rūḥ minhu” (Esprit [provenant] de Lui),

  • Prophète, messager, signe pour l’Humanité.

Ces titres montrent que le Coran ne relègue pas Jésus au second plan : il est au cœur du récit islamique, tout en étant clairement distingué de la théologie chrétienne sur sa divinité.

2. Marie : une femme exemplaire dans les deux traditions

Dans le Coran, Maryam (Marie) est la seule femme mentionnée par son nom, et elle fait l’objet d’une sourate entière (Sourate 19).

Elle est décrite comme :

  • chaste, pieuse, élue parmi toutes les femmes (Coran 3:42),

  • prophétesse du silence, ayant reçu la visite de l’ange Gabriel (Jibrīl),

  • modèle de soumission à Dieu et de courage dans l’épreuve.

(Traduction approximative de la sourate Al-imran, 3:42)

“Ô Marie ! Dieu t’a choisie et purifiée. Il t’a choisie au-dessus des femmes des mondes.”Coran 3:42

Elle accouche seule, soutenue par une source d’eau et un palmier (Coran 19:22–26), sans soutien humain.
C’est un récit à la fois symbolique, intime, et profondément spirituel.

Dans la tradition islamique, Maryam est un symbole d’endurance, de foi pure et de soumission lumineuse à Dieu — à la fois figure féminine et spirituelle majeure.

3. Naissance miraculeuse, mais pas divinité

Le Coran relate la naissance de Jésus comme un signe miraculeux de Dieu, mais rejette toute idée de filiation divine ou d'incarnation :
(Traduction approximative de la sourate Maryam, 19:35 - 19:88-89)

“Il lui suffit de dire ‘Sois !’ et il est.”
Coran 19:35

“Ils disent : ‘Le Miséricordieux s’est attribué un fils !’ Vous avancez là une chose monstrueuse.”
Coran 19:88-89

Ainsi, Jésus est vénéré comme prophète exceptionnel, mais pas comme Dieu, ni fils de Dieu dans le sens trinitaire. Le Coran le replace dans une chaîne prophétique, aux côtés de Moïse, Abraham et Muhammad.

4. Miracles et enseignements : points de convergence

Le Coran attribue à Jésus de nombreux miracles, parfois même non mentionnés dans les Évangiles canoniques :

  • Il parle dès le berceau (19:29-30),

  • Guérit l’aveugle-né et le lépreux,

  • Ressuscite les morts (avec la permission de Dieu),

  • Crée un oiseau d’argile qu’il rend vivant (3:49).

Jésus est aussi porteur d’un message de miséricorde, foi, justice, qui résonne profondément avec les enseignements chrétiens.

5. Jésus, “al-Masīḥ” : Messie dans les deux traditions

Dans le Coran, Jésus est appelé “al-Masīḥ” (المسيح) — c’est-à-dire “le Messie”, un titre également central dans le christianisme.

Mais les significations diffèrent :

  • Pour les chrétiens, le Messie est le Sauveur, envoyé pour racheter le péché du monde,

  • Pour les musulmans, il est le messie d’Israël, oint (au sens spirituel), envoyé comme signe pour les enfants d’Israël (Coran 3:45 ; 5:110), mais non divin, et non crucifié.

Dans les deux cas :

  • Jésus est choisi, marqué, missionné par Dieu pour une œuvre spéciale,

  • Son retour à la fin des temps est également attendu dans les deux religions — comme signe de la justice rétablie.

Le Coran affirme que Jésus est vivant auprès de Dieu, et qu’il reviendra à la fin des temps (Coran 4:158 ; hadiths sahîh sur son retour).

6. “Un esprit émanant de Dieu” : un titre unique et honorifique

Dans le Coran, Jésus est désigné par une expression rare :

(Traduction approximative de la sourate An-nisa, 4:171)

Rūḥun minhu” (رُوحٌ مِّنْهُ) — “Un esprit émanant de Lui [Dieu]” (Coran 4:171)

Ce titre souligne :

  • l’origine céleste de Jésus,

  • la proximité spirituelle entre Jésus et le Verbe divin,

  • mais sans implication de divinité ou d’incarnation.

Le mot Rūḥ (esprit) est également utilisé dans le Coran pour désigner Gabriel (Jibrīl) ou le souffle de vie transmis à Adam.


ci, il exprime une noblesse spirituelle exceptionnelle.

Jésus n’est pas Dieu dans le Coran,
mais il porte une trace du divin — une émanation de la miséricorde et de la lumière.

7. ʿĪsā, un des cinq grands messagers dans l’islam

L’islam reconnaît de nombreux prophètes, mais cinq sont dits “Ulu al-ʿAzm”les plus résolus, les plus importants, en raison de :

  • l’ampleur de leur mission,

  • leur endurance,

  • et leur impact spirituel universel.

Ces cinq sont :

  • Noé (Nūḥ)

  • Abraham (Ibrāhīm)

  • Moïse (Mūsā)

  • Jésus (ʿĪsā)

  • Muhammad (sws)

Jésus y occupe une place unique :

  • né sans père,

  • auteur de miracles dès le berceau,

  • messager d’amour, de justice et de sagesse.

Le Coran consacre à Jésus plus de versets qu’à la plupart des prophètes, ce qui en fait un pilier de la foi islamique.

8. Un pont entre musulmans et chrétiens

Malgré les différences doctrinales, la figure de Jésus est un terrain d'entente puissant :

  • Les deux traditions croient en sa naissance miraculeuse,

  • Lui reconnaissent un rôle messianique (même s’il diffère dans sa nature),

  • L’envisagent comme revenant à la fin des temps, pour restaurer la justice.

Dans le dialogue interreligieux contemporain, Jésus est souvent perçu comme symbole de paix partagée. Jean-Paul II et plusieurs oulémas ont évoqué “ʿĪsā, point de rencontre” dans des rencontres islamo-chrétiennes.

7. Ce qu’en disent les chercheurs contemporains

Sources principales :

  • Le Coran

  • Les hadiths sahih, notamment sur son retour eschatologique,

  • Les Tafsīr de Tabarī, Rāzī, Ibn Kathīr pour l’exégèse classique.

Lectures modernes :

  • Gabriel Said Reynolds (The Qur'an and the Bible, 2018) souligne la proximité linguistique et narrative des récits de Jésus entre le Coran et les textes bibliques.

  • Tariq Ramadan parle de Jésus comme “le Prophète du lien” entre les peuples du Livre.

  • David Thomas, spécialiste du christianisme dans le monde musulman, note que “le respect envers Jésus dans le Coran est inégalé parmi les figures non musulmanes.”


Conclusion : une figure de respect mutuel

Jésus dans le Coran n’est pas une figure marginale : c’est un pilier théologique, un modèle éthique, et un pont spirituel.
Musulmans et chrétiens ne partagent pas la même théologie du Christ, mais partagent son souvenir, son message et sa grandeur.

Et peut-être qu’en commençant par lui, on se parle avec un peu plus de paix.