Expériences de Mort Imminente (EMI) : Les faits scientifiques

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Depuis plusieurs décennies, un phénomène étonnant intrigue médecins, neuroscientifiques, psychologues et philosophes : les expériences de mort imminente, ou EMI. Ces vécus profonds sont rapportés par des personnes ayant été confrontées à un état critique – arrêt cardiaque, coma, choc grave – durant lequel elles déclarent avoir eu des expériences subjectives d’une intensité et d’une clarté exceptionnelles. Ces récits évoquent, entre autres, la sensation de sortir de son corps, de traverser un tunnel vers une lumière, de rencontrer des proches décédés ou des entités bienveillantes, ou encore de revivre l’intégralité de sa vie en quelques instants. Pour les personnes concernées, ces épisodes sont souvent perçus comme plus réels que la réalité elle-même, et produisent fréquemment des transformations psychologiques profondes.

Si les EMI ont longtemps été considérées comme anecdotiques ou relevant du domaine de la croyance, elles font aujourd’hui l’objet d’un nombre croissant d’études scientifiques, certaines publiées dans des revues médicales ou neuroscientifiques de haut niveau (The Lancet, Resuscitation, Journal of Nervous and Mental Disease, etc.). Grâce à des chercheurs tels que Bruce Greyson, Pim van Lommel, Sam Parnia, Kevin Nelson, Olaf Blanke, ou encore Janice Holden, l’étude des EMI est devenue un champ d’investigation interdisciplinaire mobilisant la médecine d’urgence, les neurosciences, la psychologie clinique, la philosophie de l’esprit et même certaines branches de la physique théorique.

L’intérêt croissant pour les EMI s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, leur fréquence : selon les données disponibles, entre 10 % et 20 % des survivants d’un arrêt cardiaque déclarent avoir vécu une EMI, ce qui, à l’échelle mondiale, représenterait potentiellement des millions de témoignages. Ensuite, leur structure commune et leur cohérence phénoménologique intriguent les chercheurs : au-delà de la diversité des contextes médicaux et culturels, les éléments narratifs sont souvent similaires. Enfin, les EMI remettent en question certaines hypothèses fondamentales sur la conscience, notamment l’idée selon laquelle toute expérience mentale suppose une activité cérébrale continue.

Mais le sujet des EMI est également le théâtre de profonds débats scientifiques et philosophiques. Pour certains, elles s’expliquent par des mécanismes cérébraux bien connus (hypoxie, hallucinations, intrusions du sommeil paradoxal, etc.). Pour d’autres, elles laissent entrevoir des dimensions encore inconnues du fonctionnement de la conscience, voire des indices d’une forme d’expérience de conscience indépendante du corps biologique. Des positions intermédiaires existent également, privilégiant la prudence sans exclure de nouvelles pistes explicatives. À ce titre, les EMI constituent un terrain d’exploration unique pour interroger la relation entre le cerveau, l’esprit et la mort.

L’objectif de cet article est donc de proposer un état des lieux rigoureux, documenté et pluridisciplinaire de ce que l’on sait, à ce jour, des expériences de mort imminente. Il s’appuiera sur :

  • des données cliniques et statistiques issues d’études prospectives ou hospitalières ;

  • des modèles neurobiologiques existants, y compris ceux défendus par des sceptiques ;

  • des phénomènes empiriques anomaliques qui défient les explications conventionnelles ;

  • des théories philosophiques et scientifiques contemporaines sur la nature de la conscience.

Il s’agira ici non pas de trancher la question de la “réalité ultime” des EMI, mais de présenter avec rigueur les faits établis, les principales hypothèses en présence, les controverses argumentées, et les perspectives de recherche qui en découlent. En croisant les regards sans parti pris, cet article souhaite offrir une base solide à toute personne — chercheur, clinicien, étudiant, ou simple lecteur curieux — qui souhaite comprendre ce que la science a réellement établi, et ce qu’elle cherche encore à élucider, sur l’un des phénomènes les plus mystérieux et discutés de notre époque.

1.1 — Typologie des éléments constitutifs des EMI

L’un des aspects les plus frappants des expériences de mort imminente est leur structure narrative étonnamment homogène, malgré la diversité des contextes médicaux, culturels ou religieux. Dès les années 1970, les chercheurs ont constaté la présence de motifs récurrents dans les récits des personnes ayant frôlé la mort. Ces éléments ont été progressivement codifiés en une typologie phénoménologique, aujourd’hui largement reconnue dans la littérature scientifique.

Les éléments les plus fréquemment rapportés

Les travaux de Raymond Moody (1975), puis de Kenneth Ring, Bruce Greyson et Janice Holden ont permis d’identifier une séquence d’expériences caractéristiques, dont voici les principales :

1. Décorporation (Out-of-Body Experience, OBE)

Le sujet perçoit qu’il a quitté son corps physique, souvent en le voyant d’en haut. Il peut observer la scène environnante (salle d’hôpital, équipe médicale), parfois avec des détails décrits comme vérifiables.

2. Sentiment de paix, d’euphorie et de dissociation de la douleur

Malgré un contexte souvent critique (arrêt cardiaque, blessure grave), la personne ressent une sérénité totale et une absence de douleur, parfois une extase.

3. Passage dans un tunnel ou un espace sombre

Le sujet a l’impression de « glisser » ou de « flotter » dans un tunnel, parfois circulaire ou vortexique, généralement en direction d’une lumière intense.

4. Rencontre avec une lumière intense et bienveillante

Cette lumière est souvent décrite comme consciente, aimante, accueillante. Certains témoignent d’une fusion avec elle.

5. Revue panoramique de la vie

Vision instantanée ou séquentielle de toute sa vie, accompagnée d’un ressenti émotionnel profond. Certaines personnes disent revivre leurs actions « à travers les yeux des autres ».

6. Rencontres avec des entités ou des proches décédés

Le sujet interagit avec des figures spirituelles ou des membres de sa famille déjà décédés. Ces rencontres peuvent être visuelles, télépathiques ou intuitives.

7. Perception d’un “point de non-retour”

Une frontière symbolique (porte, rivière, barrière) indique qu’aller plus loin serait “mourir définitivement”. Le sujet revient souvent après avoir été “renvoyé” ou avoir choisi de revenir.

8. Retour dans le corps

Vécu parfois brutal, perçu comme un “choc”, une chute ou un enfermement. Beaucoup le décrivent comme décevant ou douloureux par rapport à l’état vécu hors du corps.

Mesures et échelles d’évaluation

Le Dr Bruce Greyson, psychiatre et pionnier de la recherche moderne sur les EMI, a proposé en 1983 une échelle standardisée :

L’échelle de Greyson (GNDES - Greyson Near-Death Experience Scale)

  • 16 items, chacun noté de 0 à 2 points (score maximum : 32).

  • Un score ≥7 est généralement requis pour qu’un récit soit qualifié d’EMI « authentique ».

  • Cette échelle permet d’objectiver les témoignages, d’éliminer les confusions avec des hallucinations ou des états oniriques.

Invariance trans-culturelle, nuances interprétatives

Bien que la structure générale soit universelle, certains éléments sont interprétés différemment selon les cultures :

  • Un chrétien verra « Jésus », un bouddhiste « un bodhisattva », un athée « une énergie lumineuse ».

  • Les enfants EMIstes (cf. Melvin Morse) rapportent souvent des expériences similaires mais avec moins de langage symbolique religieux.

Les chercheurs comme Janice Miner Holden insistent donc sur une distinction entre contenu phénoménologique (relativement constant) et interprétation cognitive (culturelle, religieuse ou personnelle).

1.2 — Invariance transculturelle des EMI : éléments universels et variations interprétatives

Pourquoi cette question est-elle cruciale ?

L’un des principaux arguments avancés contre une explication purement culturelle ou religieuse des EMI est le constat que des personnes d’origines, de croyances et de contextes radicalement différents rapportent des expériences similaires, souvent sans y être préparées ni les avoir connues auparavant. À l’inverse, les sceptiques avancent que les différences d’interprétation culturelle façonnent profondément le contenu apparent de l’expérience.

L’enjeu est donc de distinguer :

  • Ce qui relève de l’universalité neurologique ou psychologique ;

  • De ce qui ressort de l’habillage symbolique, culturel ou religieux.

Études majeures sur l’universalité du phénomène

🧪 1. Kenneth Ring & Sharon Cooper (1997) – Near-Death and Out-of-Body Experiences in a Thai Buddhist and American Population

Objectif : comparer les EMI de patients thaïlandais (bouddhistes) et américains (principalement chrétiens ou non-croyants).
Résultat :

  • Les mêmes éléments centraux apparaissent dans les deux groupes : sortie du corps, tunnel, lumière, rencontre d’entités.

  • Différences dans l’interprétation :

    • Les Américains parlent plus souvent de « Dieu », de « paradis » ou de proches décédés.

    • Les Thaïlandais parlent d’êtres karmiques, de fonctionnaires célestes, ou de réincarnation temporairement avortée.

  • Les deux groupes décrivent une expérience hyper-réelle, paisible et marquante.

Conclusion des auteurs : « Les similitudes transcendent les différences culturelles et suggèrent une structure universelle des EMI. »

📖 Réf : Ring K., Cooper S. (1997). Near-death and out-of-body experiences in a Thai Buddhist population: An exploratory study. Journal of Near-Death Studies, 16(1), 33–58.

🧪 2. Kellehear A. (2009) – Experiences Near Death: Beyond Medicine and Religion

L’anthropologue Allan Kellehear a étudié les EMI dans plus de 30 cultures et traditions historiques (Égypte ancienne, Grèce, sociétés africaines, asiatiques, autochtones, etc.).

Il conclut que :

  • La majorité des cultures humaines possèdent des récits d’expériences similaires à ce qu’on appelle aujourd’hui des EMI.

  • Les structures fondamentales (séparation du corps, passage, rencontre d’esprits, changement d’état de conscience) sont répétitives, mais les figures rencontrées et le vocabulaire utilisé diffèrent.

  • Certaines sociétés interprètent cela comme un « voyage de l’âme », d’autres comme un rêve chamanique ou un test de réincarnation.

📖 Réf : Kellehear A. (2009). Experiences Near Death: Beyond Medicine and Religion. Oxford University Press.

🧪 3. Greyson B. (2000) – Near-Death Experiences and the Possibility of a Common Core Experience

Le Dr Bruce Greyson a comparé des EMI rapportées par des Américains, des Indiens, des Japonais, des populations musulmanes et des Africains.

Il identifie un « noyau dur » expérientiel, qu’il nomme core experience, incluant :

  • Décorporation

  • Revue de vie

  • Lumière bienveillante

  • Paix profonde

  • Conscience élargie

  • Sensation de “retour” involontaire dans le corps

Ce « noyau » est ensuite traduit symboliquement selon les croyances et les codes culturels du sujet.

📖 Réf : Greyson B. (2000). Near-Death Experiences and the Possibility of a Common Core Experience. Journal of Near-Death Studies, 18(3), 135–144.

Ce que montrent les comparaisons transculturelles

Éléments communs universels

  • Décorporation / flottement

  • Paix / absence de peur / arrêt du temps

  • Tunnel / lumière / espace de transition

  • Rencontre avec une entité consciente ou des figures

  • Perception de limites, frontières

  • Retour dans le corps souvent déplaisant

Ces motifs sont retrouvés dans les EMI en Occident, mais aussi dans :

  • les témoignages de mourants tibétains (cf. Bardo Thödol)

  • les récits d’expériences chamaniques amérindiennes

  • les mythes océaniens ou africains où l’âme quitte le corps avant de revenir

  • les EMI contemporaines chez musulmans, hindous, bouddhistes, juifs ou non-croyants

Éléments interprétatifs variables

  • Figures rencontrées : Jésus, anges, Bouddha, dieux hindous, esprits des ancêtres, ou « Être de lumière »

  • Contenu de la "leçon" reçue : message religieux, karmique, mission de vie, etc.

  • Topographie : jardin, temple, royaume céleste, palais bureaucratique (en Chine ou en Thaïlande)

En Thaïlande, certains témoignages parlent de fonctionnaires de l’au-delà qui "se sont trompés de personne", et "renvoient" le sujet — une variation culturelle de la sensation de "n’avoir pas terminé sa vie", présente aussi en Occident.

Analyse épistémologique : l'interprétation est différente du contenu réel

De nombreux chercheurs soulignent la nécessité de distinguer :

  • Le contenu expérientiel brut (perceptions, sensations, impressions, séquences vécues)

  • L'interprétation cognitive et symbolique (vocabulaire religieux, figures identifiées, croyances)


Janice Holden (IANDS) :
« Il est capital de faire la distinction entre ce qui est vécu et ce qui est raconté. Les EMI semblent décrire une trame universelle, traduite après coup dans les mots et symboles disponibles au sujet. »

1.3 — Outils d’analyse et de mesure des EMI

Pourquoi mesurer les EMI ?

Pour que les expériences de mort imminente puissent faire l’objet d’une étude scientifique rigoureuse, il est nécessaire de disposer d’outils objectifs permettant de les identifier, de les comparer, et de les quantifier. Sans cette standardisation, les récits restent au niveau anecdotique, difficilement exploitables dans une démarche empirique.

Depuis les années 1980, plusieurs échelles et protocoles ont été développés pour différencier les véritables EMI :

  • des rêves,

  • des hallucinations médicamenteuses,

  • des états confusionnels post-traumatiques,

  • ou des reconstructions imaginaires a posteriori.


L’échelle de Greyson (1983) — Greyson NDE Scale

Créée par le Dr Bruce Greyson, cette échelle est aujourd’hui la plus utilisée dans les études cliniques.

Objectifs :

  • Déterminer si une expérience peut être classée comme EMI selon des critères validés.

  • Évaluer l’intensité et la richesse phénoménologique de l’expérience.

Structure :

  • 16 items, répartis en 4 dimensions :

    1. Cognitive : altération du temps, pensées accélérées, révélation soudaine.

    2. Affective : paix, joie, sentiment d’amour ou d’unité.

    3. Paranormale : perception extrasensorielle, sortie hors du corps, hyperacuité sensorielle.

    4. Transcendantale : présence d’un autre monde, rencontre d’êtres, limite franchie.

  • Chaque item est noté :

    • 0 = non vécu

    • 1 = légèrement vécu

    • 2 = fortement vécu

  • Score total maximal : 32

    Un score ≥ 7 est généralement requis pour considérer qu’il s’agit d’une EMI valide.

📖 Réf : Greyson B. (1983). The Near-Death Experience Scale: Construction, reliability, and validity. Journal of Nervous and Mental Disease, 171(6), 369–375.

Autres outils d’évaluation

WCEI – Weighted Core Experience Index (Ring, 1980)

  • Créé par Kenneth Ring

  • Donne un score pondéré en fonction de la fréquence des éléments essentiels d’une EMI.

  • Plus qualitatif que quantitatif : utile pour analyses comparatives culturelles.

NDE-C – Near-Death Experience Content scale (Lange et al., 2004)

  • Mesure plus fine du contenu narratif des expériences.

  • Permet de coder les éléments pour analyse statistique et textuelle.

  • S’utilise en complément de l’échelle de Greyson.

Questionnaires cliniques standardisés (van Lommel, Sartori, Parnia)

  • Utilisés dans des études prospectives (ex. The Lancet, Resuscitation)

  • Adaptés aux situations médicales : arrêt cardiaque, réanimation, coma

  • Intègrent des questions sur :

    • le contexte clinique

    • le souvenir de l’expérience

    • sa chronologie perçue

    • son impact psychologique

Utilité scientifique des échelles

Ces outils permettent :

  • d’établir la prévalence réelle des EMI dans une population donnée

  • de distinguer EMI et hallucinations : les EMI sont cohérentes, non délirantes, non fragmentées

  • de quantifier les corrélations cliniques : lien entre score EMI et durée de l’arrêt cardiaque, taux d’oxygène, etc.

  • de suivre les effets à long terme : score EMI élevé = transformation psychologique plus profonde (études longitudinales)

Limites des outils

  • Le score reste subjectif : il dépend du récit du patient, donc de sa mémoire et de son vocabulaire.

  • Pas d’accès direct à l’expérience elle-même : l’échelle mesure un récit post-expérience, pas l’événement per se.

  • Possible sous-déclaration des expériences atypiques ou négatives (honte, peur du jugement, amnésie partielle).

  • Certaines EMI très marquantes émotionnellement n’obtiennent pas de score élevé, si elles ne contiennent pas assez d’éléments typiques.

Bruce Greyson, à propos de sa propre échelle :
« Ce n’est pas un outil parfait, mais c’est un bon moyen de différencier ce qui est une EMI d’un rêve ou d’un délire. »

Enjeux méthodologiques contemporains

De plus en plus d’équipes cherchent à coupler les outils d’analyse phénoménologiques (questionnaires) à des marqueurs objectifs :

  • EEG (électroencéphalogrammes)

  • IRM fonctionnelle (dans les études de récits remémorés)

  • analyse textuelle automatisée (IA, NLP)

  • corrélations neurobiologiques

Des efforts sont également faits pour intégrer l’analyse des EMI dans le suivi clinique des patients post-arrêt cardiaque (cf. AWARE II).

2.1 — Les pionniers (1970–1990)

L’émergence d’un champ de recherche à la frontière du médical, du psychologique et du spirituel

Avant les années 1970, les expériences de mort imminente (EMI) étaient reléguées au registre de la religion, du folklore ou de la mystique. Certains témoignages similaires se retrouvent dans les traditions anciennes (platonisme, textes tibétains, récits d’apparitions au moment du décès), mais sans cadre scientifique ni reconnaissance médicale.

Le développement des techniques de réanimation (massage cardiaque, défibrillation, soins intensifs) à partir des années 1960 a permis de "ramener à la vie" un nombre croissant de patients... qui, parfois, rapportaient des expériences troublantes vécues pendant leur mort clinique.

C’est dans ce contexte que plusieurs pionniers ont émergé, donnant naissance à l’étude scientifique contemporaine des EMI.

1. Raymond Moody – Le fondateur du concept moderne (États-Unis)

  • Ouvrage majeur : Life After Life (1975)

  • Profession : médecin et philosophe formé à l’université de Virginie

  • Méthodologie : recueil de plus de 150 récits de personnes ayant survécu à une mort clinique, principalement par entretiens ouverts.

Apport principal :

  • Popularisation du terme "Near-Death Experience"

  • Mise en évidence d’un modèle commun d’expérience (lumière, tunnel, paix, sortie du corps, rencontre d’un être spirituel…)

  • Ouverture d’un nouveau champ d’étude transdisciplinaire, liant médecine, psychologie et philosophie.


Limites :

  • Approche qualitative et anecdotique

  • Absence de protocole clinique rigoureux

  • Forte influence culturelle dans le cadre de ses récits (États-Unis, patients majoritairement chrétiens)

Réf : Moody R. (1975). Life After Life. Mockingbird Books.

2. Elisabeth Kübler-Ross – La pionnière de l’accompagnement de fin de vie

  • Psychiatre suisse naturalisée américaine

  • Spécialiste des soins palliatifs, auteure de On Death and Dying (1969)

  • Travaux centrés sur la psychologie du mourant et les phases du deuil

Apport principal :

  • Recueille et prend au sérieux les récits de mourants ou de patients "revenus"

  • Introduit le concept de phénomène de transition psychique à l’approche de la mort

  • Défend l’idée que certaines perceptions (lumière, présence, paix) pourraient être plus que des hallucinations

Réf : Kübler-Ross E. (1969). On Death and Dying. Macmillan.

3. Kenneth Ring – Vers une approche scientifique structurée (1980s)

  • Psychologue américain, professeur à l’Université du Connecticut

  • Fondateur de l’International Association for Near-Death Studies (IANDS) en 1981

  • Auteur de Life at Death (1980) et Heading Toward Omega (1984)

Apport principal :

  • Développement d’une typologie rigoureuse des EMI

  • Création du WCEI (Weighted Core Experience Index) : outil de mesure des récits EMI

  • Étude comparative entre EMI profondes / superficielles / absentes

  • Analyse des effets transformateurs à long terme chez les expérienceurs

Réf : Ring K. (1980). Life at Death. Ring K. (1984). Heading Toward Omega: In Search of the Meaning of the Near-Death Experience.

4. Michael Sabom – Vérification des perceptions hors du corps

  • Cardiologue américain

  • Auteur de Recollections of Death (1982)


Apport principal :

  • Étudie comparativement des patients ayant fait une EMI et ceux ayant eu un arrêt cardiaque sans EMI

  • Recherche de preuves vérifiables dans les OBE (observations visuelles exactes pendant arrêt cardiaque)

  • Distingue les EMI des hallucinations post-opératoires

Réf : Sabom M. (1982). Recollections of Death: A Medical Investigation.

5. George Gallup Jr. – Enquête sociologique de grande ampleur

  • Sondage Gallup (États-Unis, 1982)

  • Près de 8 millions d’adultes américains déclarent avoir vécu une EMI ou une "expérience extracorporelle"

Apport principal :

  • L’EMI est un phénomène massivement sous-estimé, pas une rareté

  • Toucher un public large pour éveiller l’intérêt académique et médical

Réf : Gallup G., Proctor W. (1982). Adventures in Immortality: A Look Beyond the Threshold of Death.

2.2 — Structuration académique (1990–2010)

De la curiosité clinique au champ de recherche interdisciplinaire reconnu

Après les travaux fondateurs des années 1970–1980, les expériences de mort imminente (EMI) commencent, dans les années 1990, à être abordées avec un regard scientifique plus structuré et rigoureux. Ce changement est lié à plusieurs facteurs :

  • la normalisation des témoignages grâce aux échelles de mesure (notamment celle de Greyson),

  • la volonté croissante de certains cliniciens de tester les hypothèses matérialistes,

  • l’apparition d’une littérature médicale et psychologique évaluée par les pairs,

  • et la création d’institutions dédiées.

2.2.1. L’IANDS (International Association for Near-Death Studies)

  • Créée en 1981, mais institutionnalisée dans les années 1990

  • Objectifs :

    • Promouvoir la recherche académique sur les EMI

    • Soutenir les expérienceurs

    • Publier et centraliser les données


Réalisations majeures :

  • Lancement du Journal of Near-Death Studies (JNDS) en 1982, revue scientifique à comité de lecture, toujours active aujourd’hui.

  • Organisation de congrès internationaux annuels, réunissant médecins, chercheurs, psychologues, expérienceurs, philosophes.

  • Promotion de standards méthodologiques (protocole de recueil, critères de validation, analyses transculturelles).

Réf : www.iands.org

2.2.2. Bruce Greyson – Légitimation scientifique du champ

  • Psychiatre, professeur à l’Université de Virginie

  • Co-rédacteur en chef du JNDS pendant plus de 25 ans


Apports essentiels :

  • Élaboration de l’échelle de Greyson (1983), validée psychométriquement

  • Nombreuses publications en revues médicales et psychiatriques

  • Défenseur d’une épistémologie ouverte mais rigoureuse (neutralité face à la question spirituelle)

« Les EMI doivent être étudiées comme tout autre phénomène psychologique ou clinique — ni rejetées, ni sacralisées. »

2.2.3. Peter Fenwick – Neurologue et chercheur clinique britannique

  • Consultant à l’hôpital St Thomas (Londres) et à l’Institut de psychiatrie

  • Ouvrages : The Truth in the Light (1995), avec son épouse Elizabeth Fenwick

Contributions :

  • Études de cas en réanimation

  • Recherche de corrélats neurophysiologiques possibles des EMI

  • Travail sur les expériences de fin de vie (visions des mourants)

  • Position agnostique mais ouverte : les EMI défient les paradigmes strictement matérialistes

Réf : Fenwick P., Fenwick E. (1995). The Truth in the Light.

2.2.4. Premiers travaux épidémiologiques rigoureux

Durant cette période, plusieurs études tentent de quantifier l’incidence des EMI, en utilisant des échantillons plus larges et des méthodes standardisées.

Exemples :

  • Gallup 1982 et 1992 : ~5 % des Américains disent avoir vécu une EMI

  • Ring et Valarino (1998) : prévalence dans les services de soins intensifs

  • Sabom (1998) : vérification des perceptions hors du corps par comparaison avec des témoins naïfs

Ces travaux commencent à montrer que les EMI ne sont ni rares, ni anecdotiques, et qu’elles peuvent être étudiées selon des critères scientifiques.

2.2.5. Ouverture interdisciplinaire : médecine – psychologie – philosophie

Dans les années 1990–2000, de nombreux chercheurs issus de disciplines variées commencent à s’intéresser sérieusement aux EMI :

  • Médecins réanimateurs, pour comprendre l’état de conscience pendant la mort clinique

  • Psychologues (transpersonnels ou cliniques), pour analyser l’impact post-EMI

  • Philosophes de l’esprit, pour reconsidérer les théories de la conscience

  • Anthropologues, pour étudier les dimensions transculturelles

Ce tournant interdisciplinaire est crucial : il permet de sortir les EMI du ghetto “spiritualiste” ou “paranormal” pour les intégrer dans le débat académique sur la nature de l’esprit et de la conscience.

2.3 — Vers une approche clinique rigoureuse (2010–aujourd’hui)

Des témoignages à la science expérimentale : les EMI en milieu hospitalier

À partir de 2010, la recherche sur les expériences de mort imminente entre dans une nouvelle phase de maturité scientifique. Grâce à une meilleure reconnaissance académique, des équipes médicales commencent à intégrer l’étude des EMI dans les services de réanimation et les unités de soins intensifs, avec des méthodes plus objectives et prospectives.

Le principal tournant a lieu avec les études multicentriques hospitalières, coordonnées par des médecins urgentistes et des réanimateurs soucieux de documenter ces phénomènes dans le feu de l’action médicale — au moment précis où le patient frôle ou traverse l’état de mort clinique.

2.3.1. L’étude AWARE (AWAreness during REsuscitation)Sam Parnia et al.

  • Début : 2008

  • Dirigée par le Dr Sam Parnia, réanimateur (University of Southampton, puis NYU Langone)

  • Publiée en 2014 dans la revue Resuscitation

Objectifs :

  • Documenter de manière prospective les expériences vécues par des patients en arrêt cardiaque

  • Vérifier s’il existe des perceptions conscientes durant la mort clinique

  • Tester des cas de perception vérifiable via des marqueurs visuels et sonores

Méthodologie :

  • 2060 patients en arrêt cardiaque répartis dans 15 hôpitaux (Royaume-Uni, États-Unis, Autriche)

  • Seuls 330 survivants ont pu être interrogés (taux de survie faible)

  • Dispositifs expérimentaux :

    • Images cibles placées en hauteur, invisibles depuis le lit (perceptibles uniquement en cas d’OBE)

    • Sons préenregistrés diffusés pendant la réanimation

  • Interviews standardisées sous 72h, suivies d’évaluations psychologiques

Résultats :

  • 39 % des patients interrogés ont rapporté une forme de conscience pendant leur réanimation

  • 9 % ont vécu une EMI complète

  • 2 cas d’OBE avec contenu potentiellement vérifiable

  • 1 cas remarquable : un patient a décrit précisément des sons émis par un défibrillateur et les gestes du personnel, correspondant à 3 minutes d’inconscience cérébrale apparente

📖 Réf : Parnia S. et al. (2014). AWAreness during REsuscitation (AWARE)—A prospective study. Resuscitation, 85(12), 1799–1805.

2.3.2. Innovations méthodologiques

L’étude AWARE marque un changement de paradigme dans les recherches sur les EMI :

  • Passage de l’approche rétrospective à une collecte de données en temps réel

  • Intégration d’instruments mesurables : EEG, marqueurs visuels et auditifs, chronométrage précis

  • Suivi longitudinal pour étudier l’impact psychologique et neurocognitif post-EMI

Technologies utilisées :

  • EEG portables pour détecter une activité cérébrale résiduelle

  • Imagerie cérébrale (IRM fonctionnelle) après coup, pour explorer les circuits impliqués

  • Grilles standardisées d’analyse du contenu narratif des EMI

2.3.3. AWARE II — L’expansion du protocole

Lancé dans les années 2015–2020, AWARE II approfondit les travaux initiaux avec :

  • Un échantillon plus large

  • Une intégration systématique de capteurs EEG pendant les arrêts cardiaques

  • Des analyses de biomarqueurs physiologiques en temps réel

  • Une standardisation complète du protocole (accrédité dans plusieurs pays)

Données publiées en 2022–2023 (revue Resuscitation):

  • 567 patients étudiés en arrêt cardiaque

  • Environ 20 % rapportent une expérience mentale pendant l’arrêt

  • Mise en évidence de surges cérébraux très brefs pendant certaines réanimations (ondes gamma, activité synchrone)


Réf : Parnia S. et al. (2023). Markers of consciousness during cardiopulmonary resuscitation. Resuscitation, 180, 33–42.

2.3.4. Vers une standardisation clinique des EMI

Les recherches récentes ont mené à :

  • La reconnaissance médicale des EMI dans certaines unités de soins intensifs

  • La proposition d’un lexique standardisé international (2022) :

    • "EMI" = expérience subjectivement vécue de mort

    • "Expérience de conscience continue" = conscience durant un état objectivement inconscient

    • Distinction stricte avec hallucinations, états confusionnels ou rêves

« Les EMI doivent être étudiées au même titre que d’autres états modifiés de conscience. Elles ne sont ni pathologiques ni triviales. » — Sam Parnia

2.4.1. L’étude de référence : Van Lommel et al., 2001 – The Lancet

Contexte :

  • Étude menée dans 10 hôpitaux néerlandais sur 344 patients ayant survécu à un arrêt cardiaque.

  • Suivi longitudinal à 2 ans et 8 ans.


Méthodologie :

  • Patients interrogés dans les jours suivant leur réanimation, puis suivis dans le temps.

  • Utilisation de l’échelle de Greyson pour valider les EMI.

  • Analyse de nombreux paramètres médicaux (durée du coma, dosage en oxygène, médications, âge, etc.)


Résultats :

  • 18 % des patients ont rapporté une EMI (62 cas).

    • 12 % : EMI "profondes"

    • 6 % : EMI "partielles"

  • Aucun facteur médical ne prédit la survenue de l’EMI.

  • Certaines EMI sont survenues chez des patients dont l’EEG était plat.

Conclusion des auteurs :

« L’hypothèse selon laquelle les EMI sont causées par des facteurs physiologiques tels que l’anoxie cérébrale, l'hypercapnie ou des drogues, n’est pas soutenue par les données. »

2.4.2. Penny Sartori – Étude clinique en soins intensifs (2008)

Lieu :

  • Service de réanimation d’un hôpital au Pays de Galles

  • Étude doctorale sur 5 ans

  • 15 patients EMI sur 39 survivants d’arrêts cardiaques

Apports clés :

  • Comparaison directe entre patients avec et sans EMI

  • Documentation précise des gestes médicaux, du timing, et des perceptions rapportées

  • EMI observées même en l’absence d’activité corticale mesurable

Réf : Sartori P. (2008). The Near-Death Experiences of Hospital Patients: A Five Year Clinical Study.

2.4.3. Bruce Greyson – Étude à l’université de Virginie

  • Études conduites depuis les années 1980

  • Analyse de plus de 1000 cas d’EMI (principalement post-arrêts cardiaques, comas, anesthésies générales)

  • Validation clinique du phénomène à l’aide de l’échelle de Greyson

Données marquantes :

  • Les EMI ne sont pas liées à des pathologies psychiatriques

  • Les patients ayant vécu une EMI ont souvent une meilleure mémoire des événements que ceux qui n’en ont pas vécu

  • Forte cohérence longitudinale : les récits restent stables dans le temps

Réf : Greyson B. (2003). Incidence and features of near-death experiences in a population. Journal of Nervous and Mental Disease.

2.4.4. Limites méthodologiques

  • Échantillons souvent réduits (car peu de patients survivent à un arrêt cardiaque assez longtemps pour être interrogés)

  • Biais de sélection : seuls les patients capables de s’exprimer sont inclus

  • Difficile de distinguer vécu subjectif / perception vérifiable

  • Certaines expériences ne sont pas relatées immédiatement (verrouillage émotionnel, amnésie temporaire)

2.4.5. Intérêt clinique majeur

  • L’étude des EMI aide les cliniciens à mieux comprendre la conscience dans les états extrêmes (coma, mort apparente)

  • Elle améliore aussi la relation soignant/patient : mieux accueillir ces récits évite la pathologisation abusive

  • Elle fournit une base pour des protocoles futurs (ex. intégration d’un item EMI dans les entretiens post-réanimation)

A noter :

  • Aucune affirmation métaphysique n’est faite : ces études n’impliquent pas nécessairement une vie après la mort

  • Le but est de comprendre la relation entre cerveau et conscience

  • Les EMI sont décrites comme des "expériences mentales de mort" (recalled death experiences), survenant dans une zone grise entre vie et mort biologique

💬 « La mort n’est plus un moment fixe, mais un processus. La conscience pourrait y persister plus longtemps que ce que la médecine a longtemps supposé. »

3. — Fréquence des EMI dans les arrêts cardiaques et variables associées

Les expériences de mort imminente (EMI) sont particulièrement bien étudiées dans un cadre clinique précis : les arrêts cardiaques réanimés. Contrairement à une croyance répandue, les EMI ne sont ni rares ni anecdotiques dans ce contexte. Les études prospectives rigoureuses montrent une prévalence notable, et révèlent une série d’enseignements importants sur leur fréquence, leurs conditions d’apparition et les facteurs non explicatifs.

Fréquence constatée dans les études cliniques

Plusieurs études de grande qualité ont tenté de mesurer combien de patients rapportent une EMI après un arrêt cardiaque. Les chiffres sont remarquablement cohérents, malgré les variations de protocole et de pays.

  • Van Lommel et al. (2001) ont montré que 18 % des survivants d’arrêt cardiaque interrogés dans les jours suivant leur réanimation rapportaient une EMI complète (selon les critères objectifs définis par l’échelle de Greyson).

  • Penny Sartori (2008), dans une étude en soins intensifs menée sur cinq ans, a obtenu un taux légèrement plus élevé, autour de 38 %, ce qu’elle explique par des entretiens plus précoces, une méthode de recueil plus qualitative et l’absence de sédation prolongée chez certains patients.

  • Sam Parnia, dans l’étude AWARE I (2014), trouve que 9 % des patients interrogés rapportent une EMI claire, mais 39 % disent avoir gardé un certain niveau de conscience pendant leur arrêt cardiaque, même s’ils ne décrivent pas tous un scénario typique.

  • Dans l’étude AWARE II (2023), les chiffres sont comparables : environ 10 à 20 % des survivants décrivent des éléments compatibles avec une EMI, certains avec une intensité élevée (OBE, revue de vie, rencontre d’entités, etc.).

👉 Conclusion : Entre 1 patient sur 10 et 1 patient sur 5 vivant un arrêt cardiaque et survivant au moins quelques jours rapporte spontanément une EMI. C’est donc un phénomène fréquent, même s’il reste minoritaire dans la population concernée.

Ce qui n’est PAS corrélé à la survenue d’une EMI

L’une des conclusions les plus solides issues de ces études est que la survenue d’une EMI ne dépend pas des paramètres physiologiques attendus. Plusieurs facteurs ont été testés sans qu’aucune corrélation significative ne soit trouvée.

  • Hypoxie cérébrale (manque d’oxygène) : Les patients avec EMI n’ont pas plus (ni moins) d’hypoxie mesurable que les autres. Parfois, ils ont même de meilleurs indicateurs d’oxygénation, ce qui suggère que l’hypoxie n’est ni nécessaire, ni suffisante à leur survenue (cf. Van Lommel, 2001).

  • Durée de l’arrêt cardiaque ou du coma : Aucune relation nette entre durée de la réanimation, durée d’inconscience ou profondeur du coma et apparition d’une EMI. Certaines EMI surviennent après des arrêts très courts, d’autres après des arrêts longs sans activité cérébrale détectable (EEG plat).

  • Médications administrées : Les médicaments classiques utilisés pendant la réanimation (morphine, sédatifs, analgésiques, etc.) ne semblent ni déclencher, ni prévenir les EMI. Au contraire, certaines substances comme les benzodiazépines pourraient inhiber la mémorisation de l’expérience.

  • Antécédents psychiatriques : Les études de Greyson et de Sartori montrent que les patients EMI ne présentent pas plus de troubles psychologiques ou cognitifs que les autres. Les EMI ne sont pas corrélées à une pathologie mentale ou à un profil hallucinatoire préexistant.

  • Religiosité ou croyance préalable : Les EMI surviennent aussi bien chez des croyants que chez des athées ou des agnostiques. L’interprétation post-expérience peut varier, mais la croyance religieuse n’est pas un prédicteur de l’occurrence d’une EMI.

Ces résultats plaident contre l’idée que les EMI seraient le simple produit d’un cerveau délirant ou d’un « conditionnement culturel ». Ils appuient la thèse d’un phénomène indépendant des paramètres médicaux conventionnels.

Facteurs possiblement associés (sous réserve)

Si la plupart des variables biologiques classiques ne sont pas discriminantes, certaines tendances faibles ou hypothèses exploratoires ont été avancées :

  • Capacité de récupération cognitive : Certains chercheurs suggèrent que les patients en meilleure condition neurologique avant ou après l’arrêt sont plus susceptibles de se souvenir d’une EMI, non pas parce qu’ils en vivent plus souvent, mais parce qu’ils peuvent mieux encoder et restituer leur vécu.

  • Qualité de la réanimation : Une réanimation plus rapide et plus efficace pourrait préserver suffisamment de fonctions cérébrales pour que l’expérience soit vécue et mémorisée, contrairement aux cas où le cerveau est trop endommagé.

  • Profil dissociatif ou hypersensible : Des études comme celles de Kevin Nelson (2006) montrent que les personnes sujettes à des expériences de type sommeil paradoxal intrusif (paralysie du sommeil, rêve lucide) pourraient être plus "prédisposées" à vivre des EMI. Ces hypothèses restent débattues et ne font pas consensus.


Une conscience "résiduelle" pendant la mort clinique ?

Les études AWARE ont montré que plus d’un tiers des patients ayant survécu à un arrêt cardiaque rapportaient une forme d’expérience mentale ou de conscience, même en l’absence de souvenirs complets. Cela suggère que la conscience ne s’éteint pas nécessairement de façon instantanée après l’arrêt des fonctions vitales.

Selon Parnia et Greyson, cela pourrait signifier qu’il existe un intervalle temporel pendant lequel une activité mentale persistante est possible, même quand le cerveau est censé être inactif — ce qui remet en question les critères traditionnels de la mort cérébrale.

4.1 — Perceptions vérifiables hors du corps : quand les récits rejoignent les faits

Objectif

Explorer les cas d’expériences de mort imminente (EMI) dans lesquels des patients ont rapporté, après leur réanimation, des informations exactes et spécifiques qu’ils n’auraient pas pu percevoir par des moyens sensoriels ordinaires — notamment pendant un état d’inconscience profonde (coma, arrêt cardiaque, anesthésie générale).

Ces cas, appelés perceptions vérifiables hors du corps (veridical out-of-body perceptions), sont étudiés avec attention car ils défient les explications purement internes ou hallucinatoires.

Le phénomène : “sortie du corps” avec observation précise

Lors d’une EMI, de nombreux patients décrivent la sensation de se détacher de leur corps physique et de flotter au-dessus de la scène. Ce phénomène, appelé out-of-body experience (OBE), est subjectivement très clair :

  • Ils disent “voir” leur propre corps depuis le plafond,

  • Observer le personnel médical,

  • Percevoir des sons et des conversations,

  • Voir des objets dans des endroits cachés à leur position physique réelle (dos, plafonniers, etc.).

Dans certains cas, ces perceptions sont ensuite confirmées par les témoins extérieurs ou par des éléments objectifs du dossier médical.

Études de cas documentées

Étude de Sabom (1982) – cardiologue

Le Dr Michael Sabom a comparé les descriptions données par deux groupes :

  • Des patients ayant vécu une EMI avec OBE (OBE = sortie de corps),

  • Des patients réanimés sans EMI, à qui on demandait de décrire "ce qui se passe en général lors d'une réanimation".

Résultat : seuls les patients EMI ont pu décrire avec précision les gestes médicaux réels observés, souvent à l’instant exact de leur mort clinique.
Les patients du groupe contrôle, bien qu’ayant vécu une réanimation, ont donné des descriptions fautives ou imprécises.

Réf : Sabom M. (1982). Recollections of Death: A Medical Investigation.

Étude de van Lommel (2001)

Dans son étude sur 344 patients (cf. section 3.1), un cas particulièrement troublant a été rapporté :

  • Un patient en arrêt cardiaque a décrit, après sa réanimation, que l’infirmier avait retiré son dentier, l’avait rangé dans un tiroir spécifique dans la salle, et que cela s’était produit avant même que son cœur ne redémarre.

  • L’infirmier a confirmé l’exactitude du témoignage.

Réf : Van Lommel P. et al. (2001). The Lancet.

IANDS et Holden (2006)

La chercheuse Janice Holden, spécialisée dans les perceptions vérifiables, a recensé plus de 90 cas de perceptions rapportées en EMI où la scène décrite pouvait être vérifiée objectivement (conversation, geste, vêtement, objet).

Dans plus de 90 % des cas étudiés, le contenu du récit était exact ou très précisément concordant avec les faits observables.

Réf : Holden J. M. (2006). Veridical Perception in Near-Death Experiences. In: The Handbook of Near-Death Experiences.

Ce que ces cas posent comme problème au modèle matérialiste

Ces témoignages remettent en cause l’idée que les EMI ne seraient que :

  • des hallucinations internes générées par un cerveau en détresse,

  • des reconstructions a posteriori influencées par des croyances culturelles.

Les perceptions exactes de :

  • conversations précises entre médecins,

  • gestes techniques invisibles depuis le lit,

  • ou objets situés hors du champ visuel physique,
    ne peuvent pas être expliquées par un contenu onirique, symbolique ou basé sur l’imagination.

Réponses des sceptiques

Les chercheurs sceptiques (comme Susan Blackmore ou Keith Augustine) avancent plusieurs contre-arguments :

  • Ces cas pourraient être le fruit de coïncidences ou de reconstructions postérieures.

  • Il est possible que l’EMI ait eu lieu après la réanimation, lorsque l’activité cérébrale avait repris.

  • Les détails pourraient avoir été entendus inconsciemment ou suggérés involontairement par l’environnement ou le personnel soignant.

Réponses des partisans :

  • Dans certains cas, l’activité cérébrale était absente ou supprimée (EEG plat, anesthésie totale).

  • Plusieurs témoins ont décrit des éléments très spécifiques non visibles ni audibles depuis leur position physique.

  • Le taux de précision dépasse largement ce qui serait attendu par simple chance ou biais de reconstruction.

Interprétation possible : une forme de perception non ordinaire ?

Face à ces données, plusieurs chercheurs évoquent la possibilité d’une forme de conscience dissociée du corps, encore incomprise :

  • soit un état de perception amplifiée non localisée,

  • soit une conscience capable de se décoller temporairement du substrat cérébral,

  • soit un mode de conscience encore non modélisé, actif même en l’absence de signe neurophysiologique mesurable.

Cela ne signifie pas nécessairement une “âme” ou une vie après la mort, mais cela interroge le lien traditionnel entre activité cérébrale mesurable et contenu conscient.

4.2 — Cas de type “Peak in Darien” : rencontres de défunts inconnus

Objectif

Explorer les cas d’EMI dits “Peak in Darien”, dans lesquels des patients rapportent avoir vu ou interagi avec une personne décédée qu’ils ne savaient pas encore morte au moment de leur expérience. Ces cas sont rares mais particulièrement significatifs, car ils défient toute explication fondée sur la mémoire, les attentes culturelles ou les hallucinations auto-suggérées.

Origine du terme : “Peak in Darien”

Le terme vient d’un essai publié en 1882 par Frances Power Cobbe, qui cite une anecdote : une mourante, juste avant de rendre son dernier souffle, s’exclame avec joie avoir vu une parente défunte, alors que personne ne lui avait annoncé son décès récent.

Dans une EMI “Peak in Darien”, le patient rapporte avoir :

  • rencontré une personne (souvent un proche ou un parent éloigné),

  • perçu cette personne comme décédée (guidant, accueillant, ou simplement présente),

  • appris après coup que cette personne était effectivement morte peu avant ou pendant son EMI, sans qu’il n’en ait été informé.

Ce type d’expérience ne peut pas s’expliquer par la mémoire, le désir ou l’anticipation.
La personne vue était inconnue comme étant décédée au moment des faits.

Études et auteurs ayant documenté ces cas

Bruce Greyson (2010)

A recensé plusieurs cas d’EMI dans lesquels le témoin rapporte avoir rencontré une personne dont le décès était inconnu de lui.

Exemple : une femme voit en EMI sa belle-sœur récemment décédée dans un accident de voiture. Elle ne l’avait pas vue depuis des mois et ignorait sa mort, survenue 48 h plus tôt. La nouvelle lui est annoncée après sa réanimation.

📖 Réf : Greyson B. (2010). Seeing Dead People Not Known to Be Dead: “Peak in Darien” Experiences. Anthropology and Humanism.

Janice Holden (2009)

Dans une synthèse d’environ 90 cas de perceptions vérifiables en EMI, plusieurs incluent des rencontres avec des personnes inconnues du sujet comme étant décédées.

Certains cas incluent :

  • des enfants morts-nés ou avortés, jamais évoqués auparavant à l’enfant témoin,

  • des parents biologiques non révélés,

  • des personnes décédées récemment, parfois à distance, au moment exact de l’expérience.

Réf : Holden J. M., Long J., MacLurg N. (2009). The Handbook of Near-Death Experiences.

Pourquoi ces cas sont-ils particulièrement problématiques pour les explications conventionnelles ?

Ces expériences ne peuvent pas être réduites à :

  • l’effet des souvenirs personnels, car la personne vue était inconnue comme morte,

  • une hallucination consolatrice, puisque la personne n’était pas attendue ni espérée,

  • une coïncidence, car certains cas sont extrêmement précis et temporellement corrélés à un décès non encore su.

Elles remettent donc en question les modèles strictement matérialistes, mémoriels ou émotionnels.

Hypothèses proposées

  1. Accès à une forme d’information non ordinaire
    Ces cas sont parfois interprétés comme suggérant un mode de connaissance élargi, où la conscience pourrait accéder à des données non disponibles au niveau sensoriel ou mnésique.

  2. Coïncidence statistique ?
    Les sceptiques évoquent la possibilité de coïncidences émotionnelles, mais la répétition de ces cas dans différents contextes, avec des détails spécifiques, rend cette hypothèse peu satisfaisante.

  3. Théorie d’un inconscient collectif ou d’un champ d’information
    Certains modèles non réductionnistes (théories de la conscience non-locale) proposent que la conscience puisse se relier à un champ informationnel transpersonnel, dans des états extrêmes.


Un cas documenté parmis d'autres

Un homme en EMI affirme avoir rencontré un “homme inconnu mais familier”. À son retour, sa mère lui révèle que son père biologique — dont il ignorait tout, même l’existence — était récemment décédé. Après identification d’une photo, il reconnaît l’homme vu pendant l’expérience.

Ce type de cas, bien que difficile à vérifier scientifiquement, soulève de lourdes questions sur la nature de la mémoire et de l’identité dans les états extrêmes de conscience.

4.3 — Études sur l’exactitude des perceptions vérifiables en EMI

Objectif

Évaluer de manière méthodique si les récits d’expériences de mort imminente (EMI) contenant des perceptions de type « hors du corps » — gestes médicaux observés, paroles entendues, objets vus — sont vérifiables, exacts et statistiquement fiables, ou simplement des reconstructions post-traumatiques.

Cette section aborde les travaux réalisés pour comparer les témoignages avec des faits objectifs observables, et ainsi mesurer la précision réelle de certaines EMI.

Études de référence

Janice Holden (2009) — The Handbook of Near-Death Experiences

L’un des travaux les plus rigoureux sur ce sujet a été mené par Janice Miner Holden, spécialiste des perceptions vérifiables lors des EMI, professeure en counseling clinique et coéditrice du Handbook of Near-Death Experiences.

Elle a analysé 93 cas d’EMI avec perceptions vérifiables, publiés dans la littérature scientifique ou médicale (revues à comité de lecture, thèses, rapports cliniques).

Résultats de son analyse :

  • 92 % des perceptions rapportées étaient totalement exactes, lorsqu’elles étaient confrontées à des témoins, à des enregistrements ou à des rapports médicaux.

  • 6 % étaient partiellement exactes, avec un ou deux éléments erronés.

  • Seulement 1 % des cas analysés contenaient des erreurs majeures.

Autrement dit, plus de 9 cas sur 10 de perceptions “hors du corps” vérifiables rapportées lors d’une EMI s’avèrent précis et confirmés par des sources indépendantes.

Réf : Holden J. M. (2009). Veridical Perception in Near-Death Experiences. In: Holden, Greyson, James (eds.), The Handbook of Near-Death Experiences. Praeger.

Méthodologie utilisée

Les cas sélectionnés devaient répondre à plusieurs critères stricts :

  1. Le patient devait être dans un état d’inconscience documenté (coma, arrêt cardiaque, anesthésie complète).

  2. L’événement perçu devait être observable ou vérifiable objectivement.

  3. Il devait y avoir au moins une source externe de confirmation (personnel soignant, membre de la famille, rapport médical).

Les perceptions considérées incluent :

  • gestes médicaux précis (intubation, massage cardiaque),

  • échanges verbaux entre soignants,

  • détails sur l’environnement (objets, machines, tenues),

  • événements survenus dans une autre pièce ou à distance.


Implications de ces résultats

Ces données posent un problème majeur pour les modèles neuropsychologiques conventionnels :

  • Une hallucination ne peut pas produire des informations objectives nouvelles.

  • Une perception réelle suppose soit une activité sensorielle, soit une mémoire préexistante, deux options impossibles à l’instant d’un arrêt cardiaque ou d’un coma profond.

Les résultats de Holden suggèrent que, dans certains cas, la conscience pourrait accéder à des informations de manière non sensorielle, ou via un mode de perception encore inconnu.

Contre-arguments et leurs limites

Des sceptiques (comme Blackmore ou Augustine) ont tenté d’expliquer ces cas de plusieurs manières :

  • Remémoration déformée après retour à la conscience,

  • Accès subliminal à l’environnement (sons perçus sans en avoir conscience),

  • Effet de suggestion par les soignants ou les proches après coup.

Mais ces hypothèses échouent à expliquer :

  • la précision temporelle (événements survenus au moment même où le patient était mesuré comme inconscient),

  • les détails situés hors du champ sensoriel,

  • la cohérence intersubjective dans plusieurs récits similaires.

  • 92 % des perceptions rapportées étaient totalement exactes

Par ailleurs, des études contrôlées comme celles de Sam Parnia (AWARE) incluent des stimuli cachés (images en hauteur, sons aléatoires) précisément pour éliminer ces biais. Bien que les cas de perception de ces stimuli soient rares, un cas positif dans AWARE I suggère que de telles perceptions non conventionnelles peuvent survenir.

5.1 — Modèle du cerveau-filtre et conscience non locale

Objectif

Présenter une hypothèse théorique majeure avancée pour expliquer certaines expériences de mort imminente (EMI), en particulier celles qui échappent aux modèles neurobiologiques classiques. Le modèle du cerveau-filtre, aussi appelé théorie de la conscience non locale, postule que la conscience ne serait pas produite par le cerveau, mais modulée, filtrée ou transmise par celui-ci.

Une rupture avec le paradigme matérialiste

Le modèle dominant en neurosciences postule que la conscience est un épiphénomène de l’activité cérébrale : sans neurones, pas d’esprit ; sans encodage neuronal, pas de mémoire ; sans influx électrique, pas de perception.

Mais certaines caractéristiques des EMI (cohérence mentale malgré un cerveau inactif, perception d’informations vérifiables, transformation existentielle durable) remettent en cause ce lien univoque entre cerveau actif et conscience.

D’où l’idée que le cerveau n’est pas le producteur de la conscience, mais un intermédiaire entre celle-ci et le monde matériel.

Origines philosophiques et scientifiques

Cette idée n’est pas nouvelle. On en trouve des traces chez :

  • William James (philosophe et psychologue, fin XIXe siècle), qui parlait du cerveau comme d’un "réducteur de conscience",

  • Henri Bergson, qui voyait l’activité cérébrale comme un filtre permettant à la conscience de se focaliser sur l’action dans le monde physique,

  • Aldous Huxley, qui qualifiait le cerveau de "valve de réduction", pour éviter d’être submergé par la totalité de la réalité.

Dans les années 2000–2020, cette intuition est reprise, sur des bases empiriques, par des chercheurs comme :

  • Bruce Greyson, psychiatre (Université de Virginie),

  • Pim van Lommel, cardiologue (Pays-Bas),

  • Enrico Facco, neurologue (Italie),

  • David Lorimer, philosophe et historien des sciences.

Qu’est-ce que la conscience non locale ?

Selon cette perspective :

  • La conscience est fondamentale, elle n’émerge pas de la matière, mais existerait indépendamment du cerveau.

  • Le cerveau fonctionne comme un filtre, un émetteur-récepteur, ou une interface entre cette conscience universelle et la perception humaine incarnée.

  • En cas de défaillance grave du cerveau (coma, arrêt cardiaque), le "filtre" se relâche, permettant un accès temporaire à une conscience élargie, ou à d’autres dimensions de la réalité.

Autrement dit, quand le cerveau s’éteint partiellement, la conscience s’élargit.

Arguments issus des EMI

Les partisans de cette hypothèse s’appuient sur plusieurs éléments difficiles à expliquer dans le paradigme matérialiste :

  1. Clarté cognitive malgré un EEG plat
    Des patients rapportent des pensées structurées, des émotions profondes, des souvenirs durables, alors que leur cerveau est supposé électriquement inactif ou déconnecté (cf. van Lommel, Parnia).

  2. Perceptions vérifiables hors du corps
    L’existence de cas de perceptions exactes durant un coma ou une anesthésie lourde suggère une activité perceptive indépendante des organes sensoriels (cf. Holden, Sartori).

  3. Rencontres avec des personnes décédées inconnues comme telles
    Les cas de type “Peak in Darien” montrent que des informations non accessibles à la mémoire personnelle peuvent émerger dans une EMI (cf. Greyson, 2010).

  4. Transformations psychologiques durables et cohérentes
    L’intensité et la cohérence des effets post-EMI, même des décennies plus tard, dépasse celles observées dans des états induits ou délirants (cf. Greyson, Ring).

Données scientifiques compatibles

Des données issues de neurosciences de la méditation, des états de conscience modifiés, ou de la physique contemporaine (cf. intrication quantique, non-localité) sont parfois évoquées pour illustrer la plausibilité d’une conscience non enfermée dans le cerveau.

Bien que la théorie ne soit pas testée empiriquement de manière classique, elle s’appuie sur un raisonnement abductif :

Puisqu’aucun modèle réductionniste ne peut rendre compte de tous les aspects des EMI, peut-être faut-il changer de cadre explicatif.

Objections et prudence scientifique

Cette théorie est séduisante, mais aussi contestée :

  • Elle n’est pas falsifiable au sens strict : comment tester une conscience "hors du cerveau" ?

  • Elle n’est pas encore intégrée aux modèles cognitifs classiques.

  • Certains chercheurs craignent qu’elle ouvre la voie à des spéculations métaphysiques non rigoureuses.

Même des chercheurs ouverts (Greyson, Facco) insistent sur la nécessité de maintenir la rigueur méthodologique : les anomalies ne prouvent pas une "âme" ou une "autre vie", mais exigent l’élargissement du champ d’investigation scientifique.

5.2 — Modèles inspirés de la physique : théorie quantique de la conscience et EMI

Objectif

Présenter certaines hypothèses issues de la physique contemporaine qui ont été proposées pour expliquer les expériences de mort imminente (EMI), en particulier celles qui défient les modèles neurobiologiques classiques. Cette section se concentre sur les modèles quantiques de la conscience, en particulier la théorie Orchestrated Objective Reduction (Orch-OR) de Roger Penrose et Stuart Hameroff.

La conscience : simple phénomène neuronal ou processus quantique ?

La théorie matérialiste dominante considère la conscience comme un émergent cérébral classique : résultat de l'activité électrique et chimique des neurones. Mais plusieurs chercheurs ont suggéré que cette approche ne suffit pas à expliquer certaines propriétés de la conscience, comme :

  • l’unité de l’expérience subjective (sentiment d’être un “soi” unifié),

  • la simultanéité de traitements massifs d’informations,

  • la non-localité apparente de certains contenus mentaux (comme dans les EMI),

  • ou encore le problème difficile de la conscience (Hard Problem of Consciousness, Chalmers).

D’où l’idée que la conscience pourrait impliquer des phénomènes de mécanique quantique, qui agissent à un niveau plus fondamental que celui des synapses.

La théorie Orch-OR (Penrose & Hameroff)

La théorie Orch-OR (Orchestrated Objective Reduction) est le modèle quantique de la conscience le plus connu.

Postulats clés :

  • Les microtubules (structures internes des neurones) ne servent pas uniquement à la stabilité cellulaire : ils sont le siège de calculs quantiques.

  • Ces calculs sont orchestrés de manière non aléatoire et aboutissent à des événements conscients lors de réductions objectives d’états quantiques.

  • La conscience est donc un phénomène quantique gravitationnel, non strictement localisable ni réductible aux processus biochimiques classiques.

📖 Réf :
Hameroff S., Penrose R. (2014). Consciousness in the universe: A review of the 'Orch OR' theory. Physics of Life Reviews, 11(1), 39–78.

Lien avec les EMI

Stuart Hameroff, anesthésiste et chercheur en neurophysiologie, a proposé que les EMI pourraient s’expliquer ainsi :

  1. Lors d’un arrêt cardiaque, le cerveau cesse ses fonctions macroscopiques, mais les processus quantiques dans les microtubules persistent brièvement.

  2. Si la réanimation réussit, l'information quantique est relocalisée et l’EMI est mémorisée.

  3. Si la réanimation échoue, ces informations "se dissolvent dans le champ quantique universel", une sorte d’espace de conscience non locale.

💬 Hameroff : « La conscience ne disparaît pas à la mort. Elle est simplement libérée. »

Ce modèle est compatible avec :

  • la persistence d’une conscience claire sans activité EEG mesurable,

  • les perceptions hors du corps vérifiables,

  • et l’idée d’une conscience non localisée, potentiellement “universelle”.

Concepts issus de la physique mis en jeu

  • Superposition d’états : le cerveau pourrait fonctionner comme un système quantique où plusieurs états mentaux coexistent avant “réduction”.

  • Non-localité : des informations pourraient être accessibles en dehors du cadre spatio-temporel classique.

  • Intrication : les unités de conscience pourraient être corrélées à distance, sans transmission sensorielle.

  • Effondrement de la fonction d’onde : chaque “moment de conscience” serait le résultat d’un choix probabiliste fondamental.

Critiques et réserves

  1. Spéculation non testable (pour l’instant)
    Aucune preuve expérimentale directe n’a montré que des calculs quantiques dans les microtubules produisent la conscience, ni qu’ils survivent après la mort clinique.

  2. Objections des neuroscientifiques
    Beaucoup estiment que le cerveau est trop chaud, humide et chaotique pour maintenir des états quantiques cohérents à grande échelle.

  3. Rejet par le consensus actuel
    Les modèles quantiques de la conscience sont largement marginaux dans les neurosciences cognitives traditionnelles.

  4. Risque de confusion métaphorique
    Certains chercheurs craignent que des termes comme “non-localité” ou “champ de conscience” soient mal interprétés ou surinterprétés.

Défenses des partisans

Les défenseurs de cette approche insistent sur plusieurs points :

  • La physique classique est incomplète pour expliquer la conscience.

  • Des phénomènes “anormaux” comme les EMI ou les perceptions véridiques méritent des modèles nouveaux.

  • La recherche en physique quantique révèle déjà des formes d’organisation non intuitives, qui pourraient s’appliquer à la cognition.

Hameroff propose des expériences futures avec des anesthésiants spécifiques ou des états neurochimiques contrôlés pour tester ses hypothèses indirectement.

5.3 — Approches transdisciplinaires : intégrer les EMI dans la recherche contemporaine sur la conscience

Objectif

Mettre en lumière la manière dont les expériences de mort imminente (EMI) interrogent, enrichissent et parfois bousculent les cadres de pensée actuels en sciences cognitives, philosophie de l’esprit, médecine, anthropologie et même en physique. Cette section expose l’émergence d’une approche transdisciplinaire, de plus en plus présente dans les colloques scientifiques, les universités et les publications spécialisées.

Pourquoi une approche transdisciplinaire est-elle nécessaire ?

Les EMI ne relèvent pas exclusivement :

  • de la médecine (elles ne sont pas des symptômes pathologiques),

  • des neurosciences (elles dépassent les limites actuelles de la neuroimagerie),

  • de la psychologie (elles produisent des effets qui dépassent l’introspection),

  • ni de la philosophie (elles impliquent des vécus empiriques).

Elles exigent une coopération entre disciplines pour :

  • analyser le phénomène avec rigueur empirique,

  • explorer ses implications ontologiques,

  • et proposer des modèles explicatifs élargis.

Domaines concernés et collaborations émergentes

Médecine et soins intensifs

  • Étude clinique des survivants d’arrêt cardiaque (Parnia, van Lommel, Sartori).

  • Intégration de la question des EMI dans le suivi post-réanimation.

  • Préconisations pour que les soignants accueillent les récits sans pathologisation.


Psychologie et psychiatrie

  • Analyse des effets post-EMI : transformation existentielle, perte de la peur de la mort, augmentation de l’altruisme.

  • Comparaisons avec les états de pico-conscience, méditation profonde ou expériences mystiques.

Neurosciences et sciences cognitives

  • Études sur l’état cérébral au moment des EMI (EEG plat, absence de cortex fonctionnel).

  • Hypothèses alternatives : conscience émergente, cerveau-filtre, intrication de systèmes neuronaux.

Philosophie de l’esprit

  • Réexamen du dualisme esprit-cerveau.

  • Question du statut ontologique de la conscience : émerge-t-elle ou précède-t-elle la matière ?

  • Dialogue avec des traditions non occidentales (hindouisme, bouddhisme, chamanisme).

Physique et cosmologie

  • Exploration des liens entre conscience et structures fondamentales de la réalité (champ d’information, théorie quantique).

  • Hypothèses d’un univers conscient ou participatif (cf. Wheeler, Bohm).

Vers une nouvelle cartographie de la conscience ?

Des chercheurs comme David Lorimer, Enrico Facco, Dean Radin, ou Etzel Cardeña appellent à une révision du matérialisme exclusif, pour intégrer :

  • les EMI,

  • les expériences transpersonnelles,

  • les états modifiés de conscience (EMC),

  • et les données "anomalistiques" non explicables dans le cadre standard.

Cela ne signifie pas abandonner la rigueur scientifique, mais reconnaître que certains phénomènes empiriques ne rentrent pas encore dans les modèles dominants.

💬 David Lorimer (2021) :
« Il est temps de reconnaître que la conscience n’est pas un sous-produit de la matière, mais un principe organisateur de la réalité. »

Initiatives concrètes et institutionnelles

  • Création de groupes de recherche universitaires sur les états extrêmes de conscience (Université de Virginie, Imperial College London, Université de Milan).

  • Publication de revues spécialisées (Journal of Consciousness Studies, Explore, NeuroQuantology).

  • Organisation de colloques interdisciplinaires réunissant médecins, physiciens, philosophes et anthropologues (ex. Science of Consciousness Conference, International Association for Near-Death Studies – IANDS).

Difficultés et résistances

Malgré cet élan, des freins subsistent :

  • Pression du paradigme matérialiste dominant dans les revues scientifiques,

  • Méfiance envers les sujets touchant à la spiritualité ou à la mort,

  • Risque de récupération par des courants pseudo-scientifiques.

Les chercheurs appellent donc à une posture épistémologique équilibrée : ouverte mais prudente, expérimentale mais non dogmatique.

6.1 — Transformations psychologiques et existentielles des expérienceurs

Objectif

Mettre en lumière les changements profonds et durables observés chez les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente (EMI). Ces transformations ne relèvent ni d’un choc traumatique, ni d’une conversion émotionnelle passagère, mais témoignent d’une reconfiguration en profondeur de la perception de soi, des valeurs et du rapport à la vie.

Ce que disent les témoignages

Des centaines de récits recueillis depuis les années 1970 font état de changements majeurs dans la personnalité, la vision du monde et le comportement des expérienceurs.

Ces changements se manifestent souvent de manière spontanée, durable et irréversible, parfois au prix d’une crise d’identité ou de solitude sociale, lorsque l’entourage n’est pas prêt à comprendre ou accueillir cette métamorphose.

Caractéristiques typiques des transformations post-EMI

Diminution, voire disparition de la peur de la mort

C’est le changement le plus universellement rapporté.
Même chez les sujets non religieux ou initialement sceptiques, une acceptation paisible de la mort s’installe.

Changement des priorités existentielles

Les expérienceurs deviennent souvent :

  • moins matérialistes,

  • plus centrés sur les relations humaines,

  • indifférents à la compétition sociale ou au statut.

Augmentation de l’altruisme, de l’empathie et de la compassion

De nombreux expérienceurs rapportent une augmentation notable de la sensibilité aux autres, y compris aux inconnus, aux animaux, à la nature.

Sens accru de la mission ou du but de la vie

Certains disent avoir « rapporté » un message ou une tâche à accomplir.
D’autres parlent d’un appel intérieur à être utile, à transmettre ou à soigner.

Intérêt accru pour la spiritualité

L’EMI agit comme une expérience spirituelle transformatrice, menant souvent à une réorientation intérieure :

  • méditation,

  • recherche philosophique,

  • lien personnel au sacré, en dehors des dogmes traditionnels.

Sensation de décalage avec l’environnement social et culturel

Ce changement profond est parfois mal compris par les proches, entraînant solitude, incompréhension, voire conflits.

📚 Études cliniques sur les effets à long terme

Kenneth Ring (1984)

A mis en évidence un schéma récurrent de transformations post-EMI, qu’il appelle la “structure Omega” :

  • Réduction de la peur de la mort,

  • Changement de valeurs,

  • Accroissement de la spiritualité,

  • Diminution de l’attachement au monde matériel.

Bruce Greyson (2000–2010)

A démontré que ces effets sont stables sur le long terme, même des décennies après l’événement :

  • Changements non corrélés à la profondeur religieuse initiale,

  • Absence d’effet placebo ou de “désir de croire”,

  • Aucun lien entre la durée de l’expérience et l’ampleur des transformations : la qualité subjective prime sur la quantité.

Melvin Morse (pédiatre)

Chez les enfants EMIstes, les mêmes transformations ont été observées : maturité accrue, rejet de la violence, hyper-empathie.

6.2 — Conséquences psychologiques et cliniques : soutien, incompréhension, intégration

Objectif

Analyser les enjeux cliniques et psychologiques posés par les EMI après leur survenue : comment les personnes les vivent dans leur quotidien, comment elles en parlent (ou pas), et comment le monde médical ou social les accueille — avec ou sans compréhension.

Une expérience profondément vécue… mais difficile à raconter

L’un des paradoxes majeurs des EMI est le suivant :

  • Elles sont parmi les expériences les plus fortes et significatives de la vie du sujet,

  • Mais elles sont aussi parmi les plus difficiles à verbaliser, à expliquer ou à faire reconnaître.

Raisons évoquées :

  • Ineffabilité du vécu (impossibilité de le formuler en langage ordinaire),

  • Peur du jugement, du ridicule ou du rejet,

  • Absence de cadre culturel ou médical pour en parler,

  • Traumatisme lié au décalage entre l’expérience vécue et la réalité quotidienne.

États psychologiques fréquents post-EMI

Solitude existentielle

Beaucoup d’expérienceurs rapportent un sentiment d’isolement profond après leur EMI :

  • Ils ne peuvent en parler à leur famille ou leurs proches,

  • Les professionnels de santé ne posent généralement pas de questions à ce sujet,

  • Il n’existe que peu d’espaces neutres et sécurisants pour partager ces vécus.

Crise d’identité

La personne peut ne plus se reconnaître elle-même.
Cela peut provoquer :

  • une dissonance intérieure,

  • une recherche de sens intense,

  • ou même une dépression spirituelle temporaire.

Incompréhension médicale

La médecine, formée dans un cadre biomédical strict, est souvent mal préparée à accueillir ces témoignages :

  • Les soignants peuvent les ignorer, les minimiser, ou les médicaliser à tort,

  • Certains patients sont diagnostiqués à tort comme psychotiques ou délirants,

  • D'autres n’osent même pas en parler, de peur d’être internés ou discrédités.

Données issues des études cliniques

Bruce Greyson (Université de Virginie)

A montré que près de 50 % des expérienceurs interrogés n’avaient jamais raconté leur EMI à un professionnel de santé.

Parmi ceux qui l’avaient fait :

  • Une majorité ont reçu une réponse neutre ou froide,

  • Une minorité ont reçu une écoute bienveillante,

  • Certains ont été orientés à tort vers la psychiatrie, ce qui a renforcé leur malaise.


Nancy Evans Bush (2002)

A souligné que même les EMI “négatives” ou angoissantes (environ 2–5 % des cas) peuvent avoir un effet thérapeutique à long terme, mais nécessitent un accompagnement psychologique spécifique. Sans cela, elles peuvent laisser une trace traumatique.

Vers une reconnaissance clinique des EMI

Plusieurs chercheurs appellent à intégrer la reconnaissance des EMI dans :

  • les protocoles de suivi post-réanimation,

  • les entretiens cliniques post-coma,

  • la formation des soignants en soins intensifs, psychiatrie et médecine d’urgence.

Objectifs :

  • Ne plus traiter l’EMI comme une anomalie, mais comme un événement psychique à fort impact,

  • Éviter les confusions diagnostiques (EMI ≠ hallucination ≠ délire),

  • Créer un cadre d’écoute sécurisant pour les patients,

  • Offrir, si nécessaire, un accompagnement thérapeutique adapté (écoute, intégration, travail existentiel).

Initiatives émergentes

  • L’IANDS (International Association for Near-Death Studies) propose des groupes de parole et des ressources cliniques à destination des expérienceurs.

  • Des protocoles d’entretien post-réanimation incluent désormais des questions ouvertes sur l’éventuelle survenue d’une EMI.

  • En France, en Suisse, en Belgique, des équipes hospitalières pionnières commencent à intégrer ces dimensions dans les soins.

6.3 — Intégration institutionnelle et formation des soignants aux EMI

Objectif

Montrer pourquoi et comment les expériences de mort imminente (EMI) doivent être intégrées dans les pratiques cliniques, la formation médicale, et les protocoles hospitaliers, tant pour des raisons scientifiques qu’éthiques.

Un constat : les soignants sont peu ou pas formés

Malgré la fréquence relative des EMI (jusqu’à 20 % des survivants d’arrêt cardiaque) et leur impact psychologique majeur, la grande majorité des professionnels de santé :

  • ne reçoivent aucune formation sur le phénomène,

  • n’osent pas aborder le sujet avec les patients,

  • ou considèrent à tort qu’il s’agit d’un délire, d’un rêve, ou d’un signe de fragilité mentale.

Ce silence est parfois vécu comme une seconde violence par les expérienceurs, en particulier dans un contexte post-traumatique.

Données empiriques

Étude de Greyson et al. (2006)

  • Plus de 60 % des professionnels interrogés (médecins, infirmiers, psychologues) ne savent pas comment réagir face au récit d’une EMI.

  • Environ 40 % craignent d’encourager des croyances irrationnelles s’ils écoutent le patient.

  • Moins de 10 % ont reçu une formation spécifique.


Études en soins palliatifs

  • Les témoignages de patients mourants sur des visions de défunts ou des expériences lumineuses sont fréquents,

  • Pourtant, ces récits sont souvent ignorés ou minimisés, faute d’un cadre institutionnel de reconnaissance.

Pourquoi intégrer les EMI dans les soins ?

  1. Pour respecter le vécu subjectif du patient

    • Quelle que soit l’origine de l’EMI (neurologique, symbolique, spirituelle), le vécu est réel pour celui qui l’a traversée.

    • L’écoute bienveillante renforce la qualité relationnelle du soin et la confiance du patient.

  2. Pour prévenir les effets secondaires pathologiques

    • Le silence, la peur d’en parler, ou l’incompréhension peuvent générer :

      • des troubles anxieux,

      • une dissonance cognitive,

      • un isolement durable.

  3. Pour favoriser la résilience post-traumatique

    • Un accompagnement adapté permet de transformer l’EMI en ressource existentielle et non en fracture intérieure.

  4. Pour améliorer les soins palliatifs et de fin de vie

    • La prise en compte des récits d’EMI ou de “visions de fin de vie” peut apaiser les peurs, faciliter le lâcher-prise, et reconnecter les mourants à leur propre sens.

Pistes concrètes d’intégration

Formation initiale et continue

  • Intégrer les EMI dans les cursus de médecine, psychologie, soins infirmiers,

  • Proposer des modules de psycho-éducation en conscience modifiée,

  • Valoriser les travaux cliniques publiés dans des revues médicales sérieuses (The Lancet, Resuscitation, Journal of Near-Death Studies).

Protocoles hospitaliers

  • Ajouter une question simple dans les entretiens post-réanimation :

    Avez-vous vécu quelque chose d’inhabituel pendant votre arrêt cardiaque ?

  • Intégrer l’EMI dans les protocoles de suivi en réanimation, soins intensifs et post-coma.

Groupes de parole et réseaux d’écoute

  • Proposer aux patients une orientation vers des groupes de soutien (IANDS, associations locales, psychologues formés),

  • Créer des espaces d’expression sécurisés, sans interprétation dogmatique.

Documentation et sensibilisation des équipes

  • Affichage d’informations sur les EMI dans les unités de soins intensifs,

  • Séances de retour d’expérience avec les soignants,

  • Mise à disposition de guides cliniques ou d’ouvrages de référence (Ring, Greyson, Fenwick).

Exemples de bonnes pratiques dans certains pays

  • États-Unis : plusieurs hôpitaux universitaires intègrent désormais un volet "expériences exceptionnelles de conscience" dans le suivi post-arrêt cardiaque.

  • Pays-Bas : le travail de van Lommel a inspiré des recommandations hospitalières visant à accueillir activement les récits d’EMI.

  • Royaume-Uni : certains services de soins palliatifs forment les équipes aux visions de fin de vie et aux récits spirituels du patient.

7.1 — Ce qui est admis

Malgré leurs désaccords, les chercheurs et cliniciens s’accordent sur plusieurs constats fondamentaux :

  1. Les EMI sont des expériences réelles pour ceux qui les vivent
    Elles ne sont ni inventées, ni délirantes, ni pathologiques au sens psychiatrique classique.

  2. Elles possèdent une structure narrative étonnamment stable
    Décorporation, tunnel, lumière, rencontre, revue de vie… ces motifs sont universellement récurrents, bien au-delà des effets d’attente culturelle.

  3. Elles ont un impact psychologique profond et durable
    Perte de la peur de la mort, bouleversement des valeurs, transformation spirituelle : autant de traits robustement documentés.

  4. Le phénomène mérite une investigation rigoureuse, interdisciplinaire, non idéologique
    Médecins, psychologues, neuroscientifiques, philosophes… tous reconnaissent qu’il s’agit d’un objet scientifique sérieux, bien que délicat.

Lignes de fracture : les désaccords majeurs

Origine des EMI : cérébrale ou trans-cérébrale ?

  • Réductionnistes : les EMI sont produites par un cerveau en détresse (hypoxie, REM intrusion, hallucination, neurochimie).

  • Non-réductionnistes : elles révèlent une forme de conscience partiellement indépendante du cerveau.

Statut de la conscience

  • Matérialistes : la conscience émerge exclusivement de l'activité cérébrale.

  • Post-matérialistes : la conscience est primaire, le cerveau n’en est que le récepteur ou le modulateur.


Degré de preuve des perceptions vérifiables

  • Sceptiques : les cas dits “précis” sont des reconstructions, coïncidences, ou résultats d’un biais de confirmation.

  • Ouverts : certains cas (notamment les OBE vérifiables, ou les EMI de type Peak in Darien) dépassent l’explication conventionnelle.


Interprétation des cas extrêmes

  • Faut-il élargir le modèle explicatif, ou simplement attendre des progrès en neurosciences ?

  • L’absence d’activité cérébrale mesurable signifie-t-elle absence de conscience, ou limite technique de nos instruments ?

Nœuds épistémologiques

Les tensions ne tiennent pas uniquement à des faits, mais à des visions du monde différentes, parfois implicites.

  1. Ce que l’on considère comme “explicable” dépend du cadre théorique adopté.
    Un réductionniste considérera l’inexplicable comme temporairement incompris, un non-réductionniste pourra y voir un indice de paradigme à renouveler.

  2. Le statut de l’anomalie
    Une anomalie est-elle un accident méthodologique, ou un levier pour réformer la science ?
    Les EMI sont précisément des anomalies persistantes et bien documentées, donc épistémologiquement significatives.

  3. La place accordée à la subjectivité
    Dans un modèle strictement objectif, le vécu intime est secondaire.
    Mais dans le champ des EMI, c’est le vécu subjectif qui est le phénomène central, et c’est précisément ce qui échappe à la modélisation linéaire.

Une science en transition ?

De plus en plus de chercheurs défendent une approche trans-paradigmatique, qui ne rejette ni les données neurologiques, ni la possibilité d'une conscience étendue.

Pim van Lommel parle d’un “paradigme de transition”, où l’on commence à accepter que la conscience ne soit pas localisée exclusivement dans le cerveau.

Bruce Greyson insiste sur la nécessité de garder un cadre expérimental rigoureux, tout en étant ouvert à des explications non conventionnelles.

8.1 — Ce qui est établi scientifiquement

1. Les EMI sont des expériences réelles et distinctes dans le vécu des sujets

Il est aujourd’hui scientifiquement établi que les EMI :

  • Ne sont ni des inventions, ni des mythes,

  • Ne relèvent pas de la confusion mentale ou d’un simple rêve,

  • Présentent une structure narrative récurrente et spécifique, validée par des échelles standardisées (ex. : échelle de Greyson),

  • Ont une forte charge émotionnelle et mémorielle : elles sont perçues comme plus réelles que la réalité ordinaire, et sont mémorisées durablement.

2. Les EMI surviennent dans des contextes médicaux objectivables et mesurés

Les EMI ont été :

  • observées chez des patients en arrêt cardiaque, coma, anesthésie générale profonde,

  • recensées dans des études prospectives rigoureuses (ex. : Van Lommel, AWARE I et II),

  • associées à des situations où la fonction cérébrale était fortement altérée, voire apparemment absente (EEG plat).

Il s’agit donc de phénomènes liés à des états critiques documentés en milieu hospitalier, et non de simples témoignages anecdotiques.

3. Leur fréquence est connue et reproductible dans les études

  • Entre 10 et 20 % des personnes ayant survécu à un arrêt cardiaque rapportent une EMI.

  • Ce taux est stable à travers les études cliniques, les pays, et les cultures.

  • Ce pourcentage est trop élevé pour être marginal, et trop stable pour être dû au hasard.

4. Les EMI produisent des transformations psychologiques profondes et durables

De très nombreux témoignages, confirmés par des études longitudinales (Greyson, Ring, Holden), montrent que les expérienceurs :

  • perdent la peur de la mort,

  • modifient radicalement leurs priorités existentielles,

  • développent une plus grande empathie et un sens du “but de vie”.

Ces changements sont :

  • indépendants des croyances religieuses préalables,

  • stables sur plusieurs années, voire décennies,

  • parfois si profonds qu’ils provoquent une crise identitaire temporaire.


5. Des cas de perceptions vérifiables ont été documentés

Plusieurs études (notamment celles de Holden et Sartori) ont établi que :

  • Certains expérienceurs ont rapporté des détails précis sur des événements réels survenus durant leur inconscience clinique (gestes médicaux, conversations, objets),

  • Ces perceptions ont été indépendamment confirmées dans plus de 90 % des cas étudiés,

  • Aucun modèle strictement neurologique ne permet actuellement d’expliquer de tels cas.

Ces données ne prouvent pas une "conscience hors du corps", mais posent une anomalie empirique robuste, exigeant une enquête approfondie.

6. Les modèles neurologiques classiques sont insuffisants à eux seuls

Malgré de nombreuses hypothèses (hypoxie, hypercapnie, sommeil REM, neurochimie), les études ont montré que :

  • aucun facteur physiologique unique n’est responsable des EMI,

  • les patients EMI ne présentent pas plus d’hypoxie, ni plus de médications, que ceux sans EMI,

  • les hallucinations classiques (par médicaments, fièvre, délire) n’ont pas les caractéristiques structurées, cohérentes et transformantes des EMI.


7. La recherche est active, structurée et reconnue scientifiquement

Les EMI font aujourd’hui l’objet :

  • de revues à comité de lecture (Resuscitation, The Lancet, Journal of Near-Death Studies),

  • de conférences scientifiques internationales,

  • d’études multicentriques contrôlées (AWARE I & II),

  • et de protocoles de recueil standardisés.

Il existe une communauté de recherche active, incluant médecins, neurologues, philosophes, psychologues, qui s’accorde sur la réalité clinique et la valeur d’étude des EMI.

8.2 — Ce qui reste incertain ou controversé

1. Le moment précis de survenue de l’EMI

L’un des points méthodologiquement les plus complexes concerne la chronologie de l’expérience :

  • Se produit-elle pendant l’arrêt cardiaque (quand le cerveau est censé être inactif) ?

  • Se produit-elle juste avant, au moment de la perte de conscience ?

  • Ou après, au moment du retour à la conscience, dans un état de confusion post-réanimation ?

Problème :

L’absence d’activité EEG ne prouve pas formellement une absence totale de conscience, mais nos instruments actuels ne peuvent détecter que certains types d’activité cérébrale. Il est donc difficile de localiser temporellement l’EMI avec certitude.

2. La nature exacte des perceptions “vérifiables”

Bien que plusieurs cas documentés montrent des perceptions hors du corps validées par des témoins extérieurs, certains aspects restent contestés :

  • Le nombre de cas véritablement contrôlés (ex. avec cibles cachées, comme dans l’étude AWARE) reste limité.

  • La mémoire humaine étant sujette à reconstruction, certains chercheurs considèrent que ces récits peuvent être influencés, inconsciemment, par des indices subtils (sons captés à bas niveau, interprétations postérieures).

3. L’origine des contenus narratifs de l’EMI

Beaucoup de témoignages décrivent :

  • des rencontres avec des figures spirituelles ou familiales,

  • une revue de vie détaillée,

  • une lumière intelligente et aimante,

  • des paysages symboliques.

Mais leur origine reste floue :

  • Sont-ils générés par la mémoire et les attentes ?

  • Reflètent-ils un contenu collectif ou archétypal ?

  • Sont-ils induits par une activité cérébrale résiduelle ?

  • Ou bien sont-ils accessibles par une conscience non localisée ?

Ce qui est établi :

Les récits sont transculturellement cohérents, mais interprétés différemment selon les croyances du sujet.

Ce qui est incertain :

Le degré d’influence de la culture et de la mémoire personnelle sur l’expérience elle-même.

4. Le statut ontologique de la conscience

C’est la question philosophique centrale que soulèvent les EMI :

La conscience est-elle un produit du cerveau, ou un principe indépendant, temporairement connecté à lui ?

Aucun consensus n’existe sur cette question, même parmi les chercheurs de terrain.

Deux visions principales :

  • Réductionniste : la conscience est un phénomène émergent du cerveau — ce que nous appelons “EMI” est un état cérébral altéré.

  • Non-réductionniste : la conscience est fondamentale, et les EMI en sont une expression libérée du substrat physique.

Ce qui manque :

Des instruments permettant de mesurer la conscience sans cerveau actif. En leur absence, l’interprétation reste métaphysique autant que scientifique.

5. L’interprétation des cas “anormaux” : Peak in Darien, entités, messages

Certains cas évoqués dans la littérature présentent des aspects encore plus troublants :

  • Rencontre de personnes décédées non connues comme telles (cf. cas “Peak in Darien”),

  • Accès à des informations inédites ou exactes, hors du champ sensoriel du sujet,

  • Sensation d’unité avec une réalité plus vaste, parfois qualifiée de “divine” ou “cosmique”.

Ces cas sont difficiles à tester empiriquement et échappent à l’analyse neurologique classique. Ils font l’objet d’un traitement prudent, mais restent des “données frontières”, potentiellement cruciales pour l’avenir du champ.

6. Le statut scientifique des hypothèses quantiques ou transpersonnelles

Certaines hypothèses évoquées par des chercheurs comme Hameroff, Penrose, van Lommel ou Facco (conscience non locale, transmission quantique, cerveau-filtre…) sont stimulantes mais encore spéculatives.

  • Elles n’ont pas de validation expérimentale directe,

  • Sont parfois mal comprises ou mal interprétées,

  • Et doivent être maniées avec rigueur conceptuelle, pour éviter les dérives pseudo-scientifiques.

Position intermédiaire :

Ces hypothèses ne sont ni confirmées, ni réfutées, mais constituent des modèles exploratoires légitimes tant que les paradigmes classiques échouent à tout expliquer.

8.3 — Ce qui divise profondément : paradigme du cerveau producteur vs. conscience non locale

Le paradigme dominant : cerveau producteur de conscience

Ce modèle, hérité du matérialisme scientifique du XIXe siècle et de la neurobiologie contemporaine, postule que :

  • La conscience est le produit de l’activité neuronale (synapses, réseaux, neurotransmetteurs),

  • Elle émerge graduellement avec le développement cérébral (fœtus, enfant, évolution),

  • Et elle disparaît avec l’arrêt du cerveau (mort cérébrale = fin du “moi”).

Raisons de sa prédominance :

  • Il est compatible avec la méthode expérimentale actuelle (observation, mesure, causalité linéaire),

  • Il a permis de grands progrès en neurosciences, psychologie cognitive et intelligence artificielle,

  • Il est enseigné dans toutes les facultés de médecine et de biologie à travers le monde.

Limites révélées par les EMI :

  • Il n’explique pas la conscience claire et cohérente rapportée dans des états sans activité cérébrale mesuré

  • Il échoue à modéliser les perceptions vérifiables pendant un coma profond,

  • Il ne rend pas compte de la continuité autobiographique dans certains cas de coma prolongé.

Le paradigme émergent : conscience non locale

Ce modèle, défendu par un nombre croissant de chercheurs (Greyson, van Lommel, Facco, Hameroff…), propose que :

  • La conscience est un principe fondamental, non réductible à la matière,

  • Le cerveau agit comme un récepteur, modulateur ou filtre, permettant à la conscience de s’exprimer dans l’espace-temps,

  • Lors de certains états extrêmes (EMI, méditation profonde, coma…), cette conscience peut fonctionner indépendamment du cerveau, au moins temporairement.

Raisons de son attractivité :

  • Il explique les perceptions exactes en dehors du corps physique,

  • Il intègre les transformations psychologiques durables,

  • Il ouvre une voie transdisciplinaire reliant science, philosophie, spiritualité.

Limites :

  • Il est encore spéculatif, difficile à tester expérimentalement,

  • Il nécessite un changement de cadre épistémologique radical,

  • Il est parfois récupéré par des courants non scientifiques, ce qui fragilise sa légitimité.

Les EMI, champ de confrontation entre ces deux paradigmes

Les expériences de mort imminente cristallisent un conflit scientifique et philosophique de fond :

  • Soit elles sont un artefact du cerveau mourant, mal compris mais explicable par des modèles futurs,

  • Soit elles révèlent l’existence d’un niveau de conscience autonome, invisible depuis nos instruments mais bien réel pour le sujet.

Bruce Greyson : « L’étude des EMI nous oblige à reconsidérer nos hypothèses les plus fondamentales sur la nature de la conscience. »

Une question de méthode ou de métaphysique ?

Ce clivage ne concerne pas seulement ce que nous observons, mais comment nous interprétons l’observable :

  • Le matérialisme méthodologique considère que seule la matière produit l’esprit.

  • Le post-matérialisme considère que la conscience est co-originelle, voire primordiale dans l’univers.

Les EMI sont au cœur de ce débat car elles posent une énigme irréductible aux instruments classiques : une conscience lucide sans cerveau actif mesurable.

Vers une science post-cartésienne ?

Certains chercheurs estiment que l’époque actuelle pourrait amorcer une transition paradigmatique, comparable à celle qu’a connue la physique avec la relativité ou la mécanique quantique.

Enrico Facco : « Nous avons besoin d’un paradigme qui reconnaisse la conscience comme une dimension irréductible, et les EMI comme un miroir de cette réalité. »

Cette transition n’est ni immédiate ni garantie. Elle nécessite :

  • des recherches rigoureuses,

  • une ouverture philosophique sans dogmatisme,

  • et le courage de penser au-delà du cadre établi, tout en maintenant les exigences de preuve.

9. Conclusion

Les EMI sont, pour la science d’aujourd’hui, ce que les phénomènes électriques furent pour la physique du XVIIe siècle : étranges, déroutants, mais profondément révélateurs.

Elles n’ont pas encore livré tous leurs secrets, mais elles constituent déjà :

  • une fenêtre sur les états limites de la conscience,

  • un enjeu de refondation des modèles neuroscientifiques,

  • et une invitation à penser la mort autrement, dans une perspective à la fois scientifique, existentielle et Humaine.

« Ce n’est pas la mort qu’il faut craindre, mais de ne pas avoir compris ce qu’elle nous enseigne. »